Sources
et héritages de Vercors
Introduction
Préambule
Sources
et héritages artistiques et littéraires
Arts...
...et
littérature
Un
système vercorien aux multiples héritages
Sciences...
...et
philosophie
I
Préambule
Les
sources et les héritages de Jean Bruller-Vercors,
qu'ils soient passés ou contemporains, qu'ils
soient clairement exprimés ou non, qu'ils
soient conscients ou non, sont extrêmement
foisonnants. Aussi cette introduction sur
le sujet vise-t-elle à dénombrer les principaux
écrivains, artistes, philosophes, scientifiques,
anthropologues, etc., qui inspirèrent le
crayon, la plume et/ou la pensée de Vercors.
En miroir, elle pose également les noms
avec lesquels il était en désaccord
artistiquement et/ou idéologiquement. La
liste n'est pas exhaustive, tant le chantier
est gigantesque. Du moins constitue-t-elle
un point de départ pour orienter votre réflexion
dans telle ou telle direction. A vous ensuite
de prendre les multiples sentiers de
traverse pour prolonger et enrichir votre
lecture de son oeuvre.
Cette
synthèse qui rassemble les intellectuels
dont les recherches et la pensée nourrirent
celles de Vercors sera suivie par des arrêts
plus précis et développés sur certains d'entre
eux.
II
Sources et héritages artistiques et littéraires
Issu
d'un milieu familial bourgeois cultivé -
une mère institutrice, un père éditeur féru
des grands écrivains français -, scolarisé
à l'Ecole Alsacienne réputée pour sa formation humaniste,
Jean Bruller fut très tôt un fin lettré,
quoi qu'il ait dit rétrospectivement de
ses manques culturels qu'il jugeait
trop nombreux. Il aborda donc le dessin,
puis la littérature avec de nombreux modèles
qu'il se choisit en fonction de sa sensibilité
et de sa conception de l'art.
1)
Arts...
En ce qui concerne les
albums que Jean Bruller illustra pour le
compte des éditions Nathan entre 1926 et
1929, il convient d'évoquer Rodolphe Töpffer (1799-1846),
et aussi Wilhem Busch
(1832-1908). Allez notamment sur le site
de la société des études töpffériennes; prenez
connaissance de Max et Muritz (1865) à lire ici
en intégralité.
Un Max et Muritz qui inspira auparavant,
en 1897, Rudolph Dirks premier père de Pim,
Pam, Poum (ou encore
sur ce
site). La série des
Pif
et Paf s'en inspire.
L'enquête
sur la paternité de Frisemouche fait
de l'auto m'avait fait éplucher les
carnets rigoureusement tenus par Nathan,
et j'avais découvert que Jean Bruller était
cité systématiquement pour ces trois tomes
de Hermin Dubus, contre l'habitude de l'éditeur
qui retranscrivait exclusivement le nom
de l'auteur, sans celui du dessinateur.
Jean Bruller aurait-il donc participé à
l'écriture des Pif
et Paf dont il
reprend d'ailleurs des épisodes entiers
dans Le
Mariage de Monsieur Lakonik?
La question soulevée est légitime.
Le
Mariage de Monsieur Lakonik,
sa seule bande dessinée de 1931, a des liens
indéniables avec Christophe.
Découvrez l'univers de ce dernier, en particulier le
Sapeur
Camember, le savant
Cosinus, et Plick
et Plock. Vercors évoqua
explicitement Christophe auprès du doctorant Radivoye
Konstantinovic qui offrit une synthèse du parcours du
double artiste dans Vercors,
écrivain et dessinateur, Paris, Klincksieck, 1969. Je vous renvoie également
pour une première approche
à "Jean Bruller et Le Mariage de Monsieur Lakonik,
un Christophe moderne?" de Jacques Tramson, dans
l'ouvrage collectif dirigé par Georges Cesbron et Gérard
Jacquin, Vercors et son oeuvre, Paris, L'Harmattan,
1999, pages 23 à 31.
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ou en version numérique.
Il s'agit également de
se demander quels liens Jean Bruller établit,
dans ses relations comme dans ses influences,
avec les artistes André Dignimont,
Jean Oberlé, Chas Laborde,
Pierre Falké et surtout Gus Bofa.
Ce dernier invita le tout jeune dessinateur
au Salon de l'Araignée à la fin des années
20 avant de rompre tout commerce avec lui
dans les décennies suivantes, trouvant que
les albums Hypothèses
sur les amateurs de peinture
et La
Danse des vivants ressemblaient
trop aux siens. Le portrait à charge sur
le site Gus
Bofa doit être nuancé, car
il tient compte seulement du récit rétrospectif
public de Vercors jugé partiellement
mensonger, sans la correspondance privée.
Jean Bruller se tenait globalement à l'écart
du milieu artistique. Pourtant, en tant
que responsable de la revue Allô Paris
au mitan des années 30, il recruta et côtoya
à chaque réunion hebdomadaire plusieurs
dessinateurs, ceux déjà cités, ainsi que Lucien Boucher,
Paolo Garretto, Marcel Vertès, Eberl, Charles
Martin, Mariette Lydis, Jean
Olin, etc. De même, lors de sa participation
au journal de soutien au Front populaire
Vendredi (1935-1938), il dut rencontrer
les autres dessinateurs de gauche dont certains
qu'il avait employés pour sa revue éphémère
L'Ingénu entre 1923 et 1924.
Un autre vaste chantier:
prendre connaissance de ses goûts artistiques.
Lire ses comptes-rendus pour La Quinzaine critique
(1929-1932) et Arts et métiers graphiques
(1932-1937) pour comprendre ses
jugements concernant la Belle Ouvrage, notamment
ce qu'il considérait comme des réussites
ou des échecs des illustrations de ses contemporains
en fonction des textes d'auteurs, mais aussi
ses jugements sur tel et tel illustrateur au-delà du
livre lui-même. Dès le milieu des années
20, Jean Bruller affirmait ses choix esthétiques
comme le signale cette lettre à sa mère
au moment de son service militaire à Tunis
datée du 14 février 1925:
"Jeudi je suis
allé au vernissage du Salon des Artistes
Tunisiens. Une des demoiselles Hamou (la
cadette, Marie-Rose Hamou) m’avait proposé,
malgré que ce soit officiellement trop tard,
de m’y faire exposer quelque chose, et bien
placé, car elle s’occupait du placement.
Mais je n’avais rien de fait, et je ne le
regrette pas, car c’est un salon, comme
tu dois t’en douter, d’une médiocrité au-dessus
de la moyenne. J’aurais certainement fait
bonne figure, mais je ne tiens pas à faire
partie d’une exposition de crêpes. Au contraire
dans un mois aura lieu un autre salon (de
tendances sans doute plus avancées) où exposeront,
dit la Dépêche Tunisienne, Van Dongen,
Klingsor, Mainssieux, Deslinières, Jodelet,
et quelques autres encore qui ne sont pas
à dédaigner. Si d’ici-là j’ai fait quelque
chose de pas mal, peut-être l’enverrai-je…"
(lettre visible dans ma base de données
contenant sa correspondance et toujours
en attente de publication).
C'est dans ses articles
pour ces revues d'art qu'on apprend par
exemple qu'il ne goûte que fort peu les
productions des Surréalistes. L'admirateur
inconditionnel d'Anatole France ne pouvait apprécier ce
groupe autant pour des raisons esthétiques
qu'idéologiques.
Plus
tard, dans ses lettres privées, Vercors
évoqua son admiration pour Brueguel
et Veermer. L'aventure de l'illustration
de Hamlet prouve
à quel point il révérait Rembrandt.
De même, l'invention des callichromies
(1952-1958) nous ramène aux impressionnistes
et aux peintres de son époque, Pablo
Picasso, Fernand Léger, Georges
Braque (Voir une description du Tapis
vert ici)
, Henri Goetz, Jean Lurçat.
Sans oublier son hommage à Christine
Boomester.
2)
...et littérature
Jean Bruller appréciait
particulièrement les écrivains anglo-saxons:
Edgar Poe dont il illustra des poèmes
et dont le fantastique halluciné lui servit
pour ses propres récits tel Le
Songe;
Rudyard Kipling qu'il illustra pour
l'éditeur Hartmann, ou encore Joseph
Conrad qui l'inspira pour des
techniques d'écriture et pour des motifs.
Sans oublier Shakespeare...
Adolescent, il ne voyait
que par Anatole France. Il ne l'oublia
pas dans ses textes du début des années
20 et pour ses toutes premières gravures.
En général, les récits courts l'inspirèrent
davantage que les textes longs, d'où, dit-il,
sa préférence pour André Gide
avant l'oeuvre dense de Marcel Proust.
Le premier bateau qu'il se construisit,
il le nomma Paludes. Il lut les oeuvres de ses comtemporains:
Jules Romains, Roger Martin du Gard (les jeunes
gens de Tendre
Naufrage évoquent notamment
Jean Barois).
Georges Duhamel et Jean-Richard
Bloch (deux titres de dessins
de La
Danse des vivants rappellent
deux de leurs romans), mais également Louis-Ferdinand
Céline (il le mentionne dans ses mémoires
des années 80, Cent
ans d'Histoire de France).
Etc.
Pour les écrivains passés,
mentionnons les moralistes du Grand Siècle
dont j'ai parlé à maintes reprises sur ce
site (à
cette page par exemple,
pour des rapprochements d'ordre philosophique
essentiellement): Pascal assurément,
La Bruyère, La Rochefoucault,
etc. Il est évident que la plume de ces
écrivains du XVIIe siècle guida celle, sobre
et rigoureuse, de Jean Bruller (dans son
journal bref de 1930) et de Vercors le nouvelliste.
Au XVIIIe siècle, Voltaire:
Dans A
dire vrai,
Vercors avoua au journaliste Gilles Plazy
avoir lu les oeuvres complètes du Patriarche.
Le lecteur le ressent au style de certains
textes de son propre journal au titre symbolique
L'Ingénu (1923-1924), plus
tard des Animaux
dénaturés
(1952). Au XIXe siècle, Victor Hugo.
Jean Bruller naquit jour pour jour cent
ans après le Mage romantique, il lut ses
oeuvres dans les éditions que son père éditeur,
Louis Bruller, mit à disposition au public
à bas coût. Cet admirateur des personnages
de Quatre-vingt- treize écrivit
en 1985 une préface au roman Les
Misérables. Les liens de Vercors à Jules
Verne ne sont pas non plus à négliger.
Cet écrivain engagé d'après
guerre ne cacha pas ses réserves concernant
les oeuvres des Hussards et du Nouveau
Roman.
III
Un système vercorien aux multiples
héritages
J'ai évoqué globalement
le système vercorien aux pages La
Sédition humaine et Anthropologie
vercorienne. Le penseur s'appuya
sur la raison et les sciences pour élaborer
sa réflexion philosophique.
1)
Sciences...
Pour
bâtir sa fable anthropologique, Vercors
se référa à Charles Darwin. Sa lecture
partielle de l'oeuvre de ce naturaliste
- car seulement appuyée sur De l'origine
des espèces (1859) - fut davantage lamarckienne
(Jean-Baptiste Lamarck sur ce
site du
cnrs), à l'instar des penseurs contemporains
français. Sa traduction philosophique commit
l'erreur de s'en remettre au libéral Herbert
Spencer. Remettre la pensée de Vercors
dans son temps, c'est se souvenir du néodarwinisme
de l'époque et de la théorie des équilibres
ponctués qui durent influencer le propos
de l'écrivain. Il faut interroger tout autant
sa pensée en fonction de ses rencontres
intellectuelles et amicales avec Théodore
Monod qu'il côtoya à l'Ecole Alsacienne,
Jacques Monod, Ernest Kahane (Questions
sur la vie à messieurs les biologistes
- à partir de 1965 pour leur correspondance,
en 1973 pour une publication partielle),
Jean Rondot, Alfred Kastler,
des scientifiques de l'Union rationaliste,
etc.
Dans
sa démarche matérialiste, Vercors s'intéressa
aux propriétés physico-chimiques de
la nature, et c'est pourquoi on doit le
rapprocher - dans ses ressemblances comme
dans ses différences - de certains philosophes
des Lumières, tels Denis Diderot,
D'Alembert, le baron d'Holbach,
Helvétius , eux-mêmes redevables
des matérialistes atomistes de l'Antiquité
(Démocrite, Epicure...). Les réflexions
de Locke et de Leibniz devront
en outre être convoquées. Il convient d'ajouter
Voltaire partisan et défenseur de
Newton dès ses Lettres philosophiques
(1734), dans la même démarche qu'Emilie
du Châtelet (traductrice de Newton)
et Pierre Louis Moreau de Maupertuis.
Quant aux relations entre le corps et l'esprit
de l'homme selon Vercors, elles sont les
héritières de ce foisonnant XVIIIe siècle,
précisément de Julien Offray de La Mettrie,
à la fois admirateur et détracteur de
René Descartes.
Comme Vercors recherchait
les limites entre l'homme et l'animal, il
plongea dans le passé de nos ancêtres. La
paléoanthropologie
le passionna. Ses discussions épistolaires
avec Paul Misraki (Les
Chemins de l'être
- 1965) l'amenèrent à adhérer en
très grande partie aux théories deTeilhard
de Chardin, un paléontologue et géologue
qui tenta de concilier science et foi. Vercors
connaissait tout autant les théories d'André
Leroi-Gourhan, ethnologue et archéologue.
Et quelles relations avec les propos de
Engels et de Marx? Les peuplades
dites primitives furent une source d'interrogation
pour l'écrivain, et il faudra resituer ses
réflexions dans son temps: quels liens par
exemple avec la pensée de Claude
Lévi-Strauss? Des Tupis souvent évoqués
par Vercors, aux tropis inventés pour Les
Animaux
dénaturés
(1952) à Tristes Tropiques (1955)
notamment: les liens sont indéniables.
2)
... et philosophie
Quoique souhaitant dans
sa démarche recourir à la science avant
toute autre considération, Vercors, à l'image
de bien d'autres, gauchit les interprétations,
les fit pencher dans un sens pour valider
ses théories. Celles-ci, philosophiques,
sont premières, dans ses strates réflexives.
De l'écrivain Vercors sourd l'artiste Jean
Bruller à l'anthropologie qui dessina les
contours d'un pessimisme lourd. De cet artiste
sourd autant le pessimisme du XXe siècle,
- celui de l'entre-deux-guerres, celui de
l'après-guerre -, que celui, individuel
et familial, de ce jeune bourgeois qui ne
put jamais s'extraire de ces marquages originels.
Aussi la rupture entre nature et civilisation
dans son système relève-t-elle d'un
ancrage ancestral de la pensée occidentale,
réactivée par les traumatismes historiques
de son époque. Ainsi l'idée que la morale
est anti-naturelle provient d'une multitude
d'héritages anciens qu'il partagea avec
une large partie des intellectuels qui lui
étaient contemporains. Pensons par exemple
à la fameuse scène de Jean qui se transforme
devant son ami Bérenger dans Rhinocéros
(1959) de Ionesco. Résonne alors la
réplique "La morale! Parlons-en de
la morale! J'en ai assez de la morale",
suivie d'une volonté de destruction de la
morale jugée antinaturelle, pour vivre selon
les lois de la jungle. Cette référence forte
à l'Histoire récente, ses interprétations
idéologiques, trouvèrent écho dans
les réflexions de toute une génération d'intellectuels,
Vercors compris. L'urgence pour eux consistait
à bâtir un nouvel humanisme pour éviter
les répétitions funestes de l'Histoire.
L'héritage passé de Vercors
se fonde en priorité sur René Descartes,
ce philosophe qui donna à la raison les
moyens de fonctionner et qui fut redécouvert
par Fontenelle, précurseur des Lumières.
Une raison contre les superstitions et le
fanatisme sur laquelle les philosophes
des Lumières s'appuyèrent, par exemple Voltaire
(l'auteur fétiche de Vercors dans ce XVIIIe
siècle) pour "écraser l'infâme".
A Paul Misraki, Vercors écrivit en 1977:
" [...] Il s'agit
de savoir au nom de quoi ces excès, ces
massacres à travers l'histoire ont toujours
été commis. Je veux dire : imaginez-vous
des foules fanatisées par les idées de Bacon,
de Descartes, de Kant, d'Auguste Comte -
en deux mots, par aucune conception fondée
sur la stricte raison ? Le fanatisme s'exerce
toujours au nom d'une foi ou d'une passion.
Les massacres d'innocents « infidèles »
l'ont été au nom de Mahomet, ceux des croisades
au nom du Christ, idem l’Inquisition et
la Saint-Barthélemy, et combien au nom du
chauvinisme, du racisme etc. Montaigne n'a
jamais tué personne, c'est [???], ni Einstein,
ce sont les militaires, ni même Marx c'est
Staline et son État-parti déifié, autrement
dit tout ce qui font passer la raison après
et non avant toute chose. Goya a merveilleusement
résumé tout cela d'une phrase sur son dessin
: « Le sommeil de la Raison engendre les
monstres »".
Vercors, naviguant entre
idéalisme et matérialisme, héritant
des XVIIe et XVIIIe siècles, prit ses sources
dans la philosophie d'Emmanuel Kant
et dans celle de Baruch Spinoza.
Dans sa synthèse sur la nature humaine,
Vercors prit le parti de Thomas Hobbes
contre celui de Jean-Jacques Rousseau,
alors même que sa vision des peuples dits
primitifs rappelle de manière illogique
le mythe du bon sauvage et que sa lecture
est censée dépasser ces penseurs du passé
pour suivre Darwin. Or, sa lecture partielle
de l'oeuvre de Darwin et la domination idéologique
de Spencer engendrent le contresens.
Après la Seconde Guerre mondiale, cette
vision de l'homme naturellement agressif
et violent qui s'affranchit progressivement
de cette nature pulsionnelle mauvaise par
une morale civilisationnelle fut réactivée
en se fondant sur les travaux de l'éthologiste
Konrad Lorenz. Travaux mis en exergue
par Paul Ardrey dans les années 60.
Sciences humaines, philosophie et psychiatrie
sont majoritairement tributaires de cette
coupure entre nature et culture. Vercors
n'y échappa pas quand il construisit son
système. Outre ceux qui précèdent, il suivit
donc logiquement le Freud du Totem
et tabou et du Malaise dans la civilisation.
C'est aussi le motif de ce péché originel
qui parcourt sa fable anthropologique dans
le temps où il affirmait se placer en amont
et hors de l'imaginaire religieux.
Si son système scientifique
de la nature puise dans certains concepts
des philosophes des Lumières, son prolongement
philosophique se révèle proche des théories
de Hans Jonas et de Stéphane Lupasco.
La condition humaine
vercorienne doit être comparée à celles
de Jean-Paul Sartre, d'Albert
Camus et d'André Malraux ( ainsi
d'ailleurs qu'à Saint-Exupéry, selon
l'une de ses lettres). Dès la préface
de son recueil Les
Yeux et la lumière,
l'écrivain sut se démarquer de l'absurde
et de la révolte des deux premiers. Il faut
alors comprendre son raisonnement en
analysant les trois pensées. Il évoqua moins
Malraux. Pourtant il y pensait implicitement:
pourquoi ne pas étudier dans un même ensemble
La Condition humaine (1933) et La
Danse des vivants?
Cet album puise autant dans les références
passées (les moralistes du XVIIe siècle) que
dans la coloration philosophique et idéologique
de l'entre-deux-guerres.
Malgré
ce pessimisme foncier, teinté d'humanisme
après la guerre, Vercors proposa une philosophie
de l'Histoire et sa traduction politique
optimistes, animé qu'il était de la certitude
des progrès et convaincu que l'aventure
humaine avait un sens : quels
liens établir entre sa pensée et celles
de Condorcet, Voltaire, Jules
Michelet (souvenons-nous
que l'essai Sens
et non-sens de l'Histoire
est une
réédition de La Marche à l'humanité,
préface à l'ouvrage Le Peuple de Michelet)?
La transformation progressive de l'homme
qui fait l'Histoire est à l'image de sa
préférence réformiste en politique,
dans le sillage d'Aristide Briand.
La
pensée de Vercors a ceci de sociologiquement
intéressant d'osciller entre le conventionnel
de sa classe bourgeoise et l'échappée révolutionnaire.
Prenons des exemples déjà visibles sur ce
site: des mesures à la marge mais sans changer
le système qu'il intégra inconsciemment
sans le remettre véritablement en cause
(L'égalité
pour tous, maintenant? Vercors et le deuxième
sexe) et
des propositions audacieuses hors
système (la valeur travail dans Du
contrat social vercorien).
Article mis en ligne
le 8 octobre 2013.
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