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 Biographie Détaillée

 

 

 

"Une double vie, c'est pas une vie"*:

1945-1948, des années intenses

 

 

A la Libération, Vercors fut littéralement happé par sa notoriété fulgurante. Les sorties publiques, les nombreuses réunions dans les instances littéraires et politiques, les discours en France comme à l'étranger le submergèrent.

En 1945, Vercors prononça son premier discours à la Conférence des Ambassadeurs. En avril, Jeanne Durry, chargée des relations culturelles avec l’étranger, lui proposa de faire une série de conférences en Angleterre. Le 24 décembre, Vercors embarqua sur un Liberty ship pour une tournée de quatre mois en Amérique. Après 22 jours de traversée, il parcourut l’Amérique et le Canada. En mai 1947, il fit des conférences aux Pays-Bas. En juin de la même année, il se rendit à Zurich en tant que délégué de la section française des PEN-Clubs pour le congrès international. En mai 1948, il se rendit à Copenhague pour le congrès annuel de la Fédération internationale des PEN-Clubs. Le lendemain du congrès, il partit pour l’Allemagne pour une conférence, puis alla quatre jours à Prague afin d ‘assister au Slet des Sokols. Après septembre, Vercors se déplaça en Pologne, puis à Cracovie pour visiter la camp d’Auschwitz. Sans compter qu'il devait veiller à la bonne marche des Editions de Minuit.

Ce rappel n'est qu'une infime partie de la vie trépidante et débordée de Vercors pendant 4 ans, voire 5 ans puisque l'année 1949 fut tout aussi chargée.

Vercors eut donc une double vie, celle du symbole du Résistant et celle de l'écrivain. L'équilibre entre ces deux activités fut difficile à maintenir. La première empiéta fortement sur la seconde. Elle fut publique quand l'autre réclamait le calme retrait du privé. Cette double vie devint donc insupportable par son ryhtme effrené. A partir de 1949, délesté de la direction des Editions de Minuit, quoique encore et toujours actif comme symbole de la Résistance dans les associations (notamment le CNE, le PEN Club, Le Mouvement de la Paix), il se concentra davantage sur son métier d'écrivain. Il le mit davantage au premier plan, et ce fait s'accentua au fil des décennies.

 

Loin du bruit et de la fureur

 

Noyé dans cet emploi du temps surchargé qu'il s'imposait - par conscience aiguë de son rôle sous l'Occupation - et qui lui était à la fois imposé par les circonstances et son réseau, Vercors réussit à se ménager des plages de retrait pour poursuivre son œuvre d'écrivain. A l'écart, il voulut s'abstraire du bruit et de la fureur afin de prendre la distance qu'il faut pour écrire. Comme il le confia à son ami Diego Brosset, Vercors est un penseur en retrait, il est une conscience ayant besoin de silence et de temps.

Ainsi, Vercors se réfugia au château de Sarcenas, en Isère, en 1947. Une lettre datée du 21 septembre à Jean-Pierre Melville prouve que Vercors était à cet endroit à l'automne. C'est dans ce lieu reculé et paisible qu'il finit son recueil de nouvelles, Les Yeux et la Lumière. L'écrivain appréciant particulièrement transposer des éléments autobiographiques dans ses fictions, il se souvint de son séjour dans ce château où le héros Pierre Cange trouvera aussi refuge dans La Puissance du jour (1951), suite de la nouvelle Les Armes de la nuit (1946).

L'année 1948 fut encore plus douloureuse pour Vercors. Croulant toujours sous les lourdes et multiples responsabilités de son rôle de Résistant intellectuel, celui-ci était en train de perdre ses Editions de Minuit. Du point de vue personnel, il perdit sa mère en janvier et son mariage avec Jeanne, vacillant depuis des années, prit fin quelques mois plus tard. Exténué, il fuit une nouvelle fois la frénésie de cette existence de plus en plus absurde à ses yeux. Il s'isola quelques semaines à Monaco, dans un hôtel de Monte-Carlo, avant d’aller à Lausanne en tant que juré du Prix Veillon.

Ce retrait loin du monde ne fut pas suffisant. Il confia son désespoir à J. Tumova dans une lettre du 24 juillet:

"Dans la vie que nous menons tous, et dans celle précisément qu’on me fait mener, je n’ai vraiment plus qu’une joie, une seule : celle d’aimer – quand je le peux. Je ne le peux plus très souvent. Ils sont de plus en plus rares, les êtres qui savent attacher mon affection. Vous êtes de ces rares-là. Je ne suis pas expansif, je ne sais pas montrer mes sentiments, et les mots me trahissent toujours. Je crains de n’avoir pas su vous faire voir combien j’étais profondément, profondément sensible à cette affection si spontanée, si naturelle que vous me témoigniez et dont je suis tellement sûr qu’elle est vraie. Vous ne savez probablement pas le bien que vous m’avez fait. Vous m’avez vu fatigué, affreusement las et fatigué, et ce n’était pas seulement le corps qui l’était, et pas seulement l’esprit, mais même le cœur".

 

Il était à tel point harrassé qu'il fuit le 8 août en Bretagne, sur l'île d'Irus, et ce, pour 15 jours. Ce choix n'était pas hasardeux. Il retournait, nostalgique, dans une île mythique chère à son coeur. C'est là qu'il s'était rendu, dans l'entre-deux-guerres, pour la première fois avec Diego Brosset (Allez lire mon article sur ses périples en Bretagne et particulièrement sur l'île d'Irus). C'est à Jean Lorenzi, un ami qu'il avait côtoyé à Monaco quelques semaines plus tôt, qu'il écrivit le 10 août 1948:

« je ne vous parle pas des Éditions de Minuit, j’ai mis cette histoire “en vacances” et attends la rentrée pour une décision définitive. Ce sera très probablement un retrait, pour la raison d’abord que je n’ai pas envie que ça s’arrange. Je commence à avoir un désir incoercible de vivre enfin pour mon compte ».

Et c'est ce qu'il commencera à faire après ces 4 années trop intenses.

 

* Expression  inventée par Jacques Pévert pour le film Drôle de drame (1937).  Cette réplique humoristique par sa polysémie est encore plus cocasse grâce au brio de l'acteur Michel Simon.

 

Article mis en ligne le 1er juillet 2018

 

 

 

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