Sociologie de la grande bourgeoisie
Sommaire
Préambule
Vercors mobilisa son énergie intellectuelle dans la définition de la spécificité de l'Homme par rapport à l'animal. Il n'en oublia pas moins de regarder le réel social pour décrire les modes de vie des groupes sociaux, et même, dans un acte artistique engagé à gauche, d'exhiber les dysfonctionnements dus à la coexistence de classes inégalitaires. Par sa pratique autobiographique constante, l'écrivain mit surtout en scène la petite bourgeoisie, notamment la petite bourgeoisie intellectuelle, dont il faudra un jour livrer les caractéristiques, car Vercors analysa certains pans avec grande acuité, autant qu'il passa à côté d'autres à cause d'un habitus intériorisé. Toutefois, au détour de quelques oeuvres, il s'inséra dans les classes populaires (par exemple quelques dessins de La Danse des vivants, les mineurs dans Colères, la prostituée Clémentine), dans le monde politique (notamment Colères, Comme un frère) et dans la haute bourgeoisie en particulier dans son roman de 1973, Comme un frère. Vercors pensa ainsi les groupes sociaux dans quelques récits, les mit en parallèle, voire les confronta. Il en vint ainsi à mettre en exergue les classes sociales et leur lutte, les inégalités et les exploitations de tous ordres. Le début du titre de mon nouvel article condense les titres de deux des nombreux ouvrages des sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon - Voyage en grande bourgeoisie (1997) et Sociologie de la bourgeoisie (2000) - dont la pensée féconde sur le sujet constitue une grille de lecture pertinente de l'espace fictionnel de Comme un frère... et de notre monde.
Sociologie de la grande bourgeoisie
Résumé de Comme un frère
Pour comprendre ce qui suit, il convient de faire un résumé du roman de 1973, Comme un frère: à un carrefour, le jeune héros Roger-Louis Touhoine, issu de la petite bourgeoisie provinciale, se scinde en deux. Ce prodige, propre à la fiction, permet à Vercors de faire diverger l'avenir de cet homme double en fonction des hasards des rencontres. Celles-ci décident de leurs trajectoires de vie et les amènent à être deux individus différents, bientôt opposés.
Par amour pour Elisabeth (dite Lisbeth), Louis côtoie le milieu artistique, rencontre des gens aux convictions de diverses gauches et accepte de gérer l'administration de la troupe théâtrale. Rapidement, leur salle de répétition et de spectacle étant menacé par la construction d'un ensemble immobilier de luxe, Louis commence des tractations avec Magnus, le propriétaire des lieux, qui lui propose un local provisoire occupé par des sans-logis. Quelle que soit la décision de la troupe, ces pauvres gens n'auront d'autre perspective que d'être délogé, manu militari si besoin était. Par conviction morale, Louis refuse la tractation et se lance, accompagné de Lisbeth, dans l'action syndicale.
Roger, quant à lui, est incité à jouer l'intercesseur entre un petit groupe anonyme (Léon, Marcelle et Graulme) et l'univers culturel des musées pour vendre des copies de peintures des grands maîtres. Le lecteur aura compris que Vercors évoque son aventure des callichromies (dont je parle à la page consacrée à Henri Goetz et dans mon article Jean Bruller-Vercors et l'imprimerie dans l'ouvrage collectif L'Écrivain et l'imprimeur). Sa tentative personnelle infructueuse le conduit à demander de l'aide à Magnus, celui-là même avec lequel son double Louis fait affaire. Non seulement cette stratégie s'avère bientôt fructueuse, mais Roger devient aussi l'époux de la fille de cet homme puissant, basculant ainsi dans la haute bourgeoisie, avec une ascension personnelle, professionnelle, enfin politique, fulgurante. C'est lui-même qui, par ses jeux politiques retors, déclenche un coup d'Etat fasciste (en référence avouée à celui du 6 février 1934), et pousse le pays au bord de la guerre civile. C'est également à ce moment précis qu'il s'aperçoit qu'il fait fausse route: parvenu sur les lieux de la révolte aux côtés de Louis, les dédoublés ne font de nouveau plus qu'un, et Roger meurt en passant dans l'autre camp, celui qui révèle sa nature profonde, car tel est le but que Vercors assigne à son récit: montrer que la spécificité d'un individu résiste à tous les hasards de vie quand un événement le conduit à prendre une lourde décision et à agir.
Dans cette page, on sera exclusivement attentif à la grande bourgeoisie représentée par Magnus, son entourage et évidemment Roger. Cette classe sociale n'a pas pour trait définitoire qu'une richesse d'ordre économique. Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot démontrent que les classes dominantes cumulent trois richesses: culturelle, sociale et, celle qui surplombe les deux précédentes, symbolique. Ces grandes fortunes ont une identité à deux faces, celle qui est présentable aux yeux du monde et qui est légitimante; celle qui est cachée et permet donc d'exercer véritablement le pouvoir. Ces théories des Pinçon, appuyées sur des enquêtes de terrain auprès de la grande bourgeoisie, sont mises en pratique avec acuité dans le roman de Vercors.
Richesse culturelle
La grande bourgeoisie possède une double richesse culturelle: une richesse scolaire - les grandes écoles lui sont ouvertes et relaient efficacement l'apprentissage princeps que la famille délivre à ses enfants dès leur plus jeune âge; et une richesse par leur omniprésence dans le monde de l'art. Ces grandes fortunes évoluent dans le monde des collectionneurs, des fondations et du mécénat.
Le roman Comme un frère décline plus particulièrement le second volet de cette richesse culturelle. En effet, Magnus, personnage au nom dont l'étymologie est hautement signifiante ( = le grand ), s'intéresse au domaine des arts. Féru de peinture, il possède une Chasse au lion de Delacroix dans son château de Dordogne, une Baignade de Cézanne, ainsi qu' à Paris deux tableaux de Juan Miro et de Raoul Dufy, dont des copies ont été reproduites pour figurer dans son yacht.
L'idée de faire fructifier l'entreprise des callichromies auprès des musées français l'enthousiasme. Par réel intérêt pour l'art, mais aussi parce qu'un projet réussi de la sorte augmenterait son prestige indéniablement: c'est une « entreprise ouvrant d'aussi larges perspectives. La France pourvoyeuse d'oeuvres d'art pour les musées du monde entier! Elle pourrait en tirer un prestige culturel énorme », s'exclame-t-il.
Ses accointances avec les conservateurs des musées réputés de France, comme de ceux de l'étranger lui assurent une mainmise certaine sur les choix qui président à l'achat des toiles. S'il ne siège pas au conseil d'administration d'un musée, son pouvoir et son prestige pèsent fortement sur les achats. Ami avec le conservateur du musée de Marmottan, Magnus espère que celui-ci demande l'exclusivité sur les callichromies. Peine perdue. Magnus met alors une autre stratégie en place, plus machiavélique: l'achat par le Louvre d'un tableau de Hals, qui n'est en fait qu'une copie du groupe Léon-Michelle-Graulme qu'il rétribue, est en tous points fomenté par ses soins. Une fois la supercherie dévoilée au conservateur du musée, Magnus propose une sortie salvatrice, clé en mains, pour que le Louvre ne perde pas la face... au plus grand avantage de Magnus qui voit ainsi son affaire prospérer.
On comprend aussi que cet homme cultivé fait bénéficier des meilleures écoles à ses enfants. On apprend ainsi que le fils aîné est « en khâgne et [...] prépare Normale ». Aucun déclassement en vue pour la génération qui le suit.
Richesse sociale
La richesse sociale se donne à voir quand elle est associée à du culturel et/ou du caritatif. Le bénéfice symbolique est exponentiel, les retombées entretiennent et alimentent cette richesse d'ordre social.
Quand Magnus accepte de lancer l'aventure des callichromies, il prépare une exposition destinée à faire sensation: « Magnus loua une galerie sur l'avenue Matignon, où le Tout-Paris fut convié à venir comparer » la toile originale aux copies. Amusement mondain garanti. Ce mécénat flatte l'orgueil de Magnus. Sans oublier que le sens des affaires n'est jamais perdu de vue. Vient à cette exposition le conservateur du Metropolitan Museum de New York, « venu tout spécialement sur l'invitation de Magnus ». Ce déplacement exceptionnel, Magnus le doit à ses réseaux patiemment tissés.
Les mondanités constituent une forme de mobilisation de cette classe sociale. Elles assurent la cohésion du groupe, permettent l'entremaillage des réseaux entre eux, sur le mode de la cooptation. Roger accèdera au rallye, sa femme fait de régulières visites aux grands couturiers à Paris, et s'adonne à toutes les distractions de sa vie mondaine. Magnus, visible dans le « mondain », fréquente régulièrement cercles et clubs: « il connaît tout le monde », informe sa fille à son futur mari Roger. Aussi l'entreprise débutante des callichromies, sous la houlette de cet homme puissant, prend son essor, grâce aux prêts d'originaux par des amis de Magnus: un autoportrait de Rembrandt prêté gracieusement par un « Rothschild », ainsi que « une Andromède (venant d'une collection allemande) une Partie de campagne de Watteau (propriété d'un soyeux lyonnais) ». La sociabilité mondaine fonctionne comme un entre-soi de confiance, de services et d'entre-aide. Comme concluent les Pinçon, les grandes fortunes pratiquent le « collectivisme pratique ».
Un service aussi lié au secret des affaires financières: « Le conservateur, à La Haye, du musée Franz Hals avait des obligations à l'égard de Magnus: des crédits de la banque à intérêts réduits lui avaient permis d'entreprendre d'importants travaux de restauration ». Les mondanités, sous quelque forme qu'elles soient, cachent aux yeux du public les tractations de l'ombre. Magnus invite des amis sur son yacht, car « La croisière servait surtout, entre hommes d'affaires, à mettre certaines combinaisons sur pied avec la discrétion désirable ».
Roger, ayant la confiance de son beau-père Magnus, est intégré au groupe: « Loin d'être un handicap auprès d'eux, son aspect juvénile faisait merveille dès lors que Magnus se fiait de façon notoire à des capacités si fraîches. Il s'ensuivait d'emblée un préjugé d'estime, voire d'admiration à l'égard de ces aptitudes et Roger, par contrecoup, s'affermissait de confiance en soi". Rapidement, "Roger n'avait à exercer que rarement une démarche pour se trouver associé à mainte fructueuse opération. Elles venaient à lui pour ainsi dire toutes seules ».
La grande bourgeoisie tient une part de son pouvoir dans l'interpénétration de divers cercles, les plus efficaces étant ceux des mondes journalistique et politique. Des médias sont à la botte de Magnus. Celui-ci n'hésite pas à se servir d'eux pour lancer son projet des callichromies, projet qui serait resté confidentiel sans cette relation omnipotente: il lance une « polémique [...], par la plume de critiques à sa botte (ceux dont les conseils rémunérés l'aidaient à constituer sa collection) ». Il demande aide à « une personnalité des lettres et des arts (amie de Magnus) » et s'appuie sur « deux quotidiens (contrôlés par Magnus) ». Quelle indépendance de ces médias? Ils perpétuent le pouvoir absolu de la grande bourgeoisie qui s'est accaparée les outils de communication pour manipuler et matraquer les esprits.
Richesse symbolique
Les privilèges - arbitraires - s'intériorisent en chacun des membres de ce groupe social par le biais de l'éducation. Ceux-ci les incorporent dans leurs corps et dans leurs esprits. Ils deviennent qualités innées, seconde nature, là où objectivement ils ont été construits socialement. Magnus tient à « son image de marque », ce quinquagénaire respire la santé, il a un air sportif. Roger, quant à lui, "sentait que du même coup il acquérait obscurément des droits auxquels l'homme du commun ne saurait prétendre". Il s'accorde de luxueuses vacances, entre gens de bonne compagnie. Il affine ses goûts, précisément dans le domaine culinaire.
Pouvoir et puissance exacerbent les désirs, grisent et pressent à la marchandisation de tout, même des personnes. Après avoir fait un mariage avec un « beau parti », Roger papillonne entre deux femmes (« il s'accordait des droits sur Marcelle » [c'est moi qui souligne]), puis entre plusieurs. Tourbillon et vitesse sont le propre de ce monde... hors du monde. Vercors le marque bien dans sa narration, surtout à la fin de Comme un frère où tout s'accélère, et qui rappelle la technique qu'il emploie pour son roman Quota ou les pléthoriens.
Vercors prend soin de ne pas proposer de vision manichéenne de Magnus. De nombreux points de vue sur le personnage divergent à escient. Tantôt il est vu comme un « affreux capitaliste », tantôt comme un homme qui sait avoir du coeur, tantôt le portrait est plus justement nuancé. Toutefois, beaucoup s'accordent à dire que: « Les arts, d'accord, mais après les affaires. Il ne va pas, n'est-ce pas, renoncer à son immeuble ultra-moderne pour une malheureuse petite troupe de comédiens ». Vercors humanise le personnage dans ses relations filiales, dans son acceptation de Roger au-delà de son milieu de la petite-bourgeoisie. Ce mariage avec sa fille, s'il est une mésalliance financière, se révèle une aubaine, parce que celui qu'il considère comme son fils désormais est un redoutable homme d'affaires intelligent. Il dore encore plus son image de marque. Roger est un nouveau riche qui a eu accès à un milieu supérieur par sa méritocratie.
Au-delà de son cercle restreint, Magnus n'est pas déconnecté du monde réel. Il n'a pas voulu faire affaire pour le terrain où logent des sans-abris par acquit de conscience. Il explique que lui-même est un parvenu dans la grande bourgeoisie. Sa famille était pauvre, alors que « les gars de la Grascovim [...] sont des richards de père en fils. Ils méprisent et haïssent les pauvres qui sont, pour eux, des êtres d'une autre espèce ». Vercors ne met pas en scène directement les autres riches industriels. Ce que l'écrivain veut démontrer, c'est que c'est le système qui engendre les dysfonctionnements. En cela, il rejoint les idées de Marx.
c'est la faute d'un " système " où tout se vend, où tout s'achète, où la beauté et le bonheur ne sont pas des marchandises " rentables ". Rien à faire sinon le " casser " un jour.
La grande bourgeoisie décrite dans Comme un frère se présente donc bien comme une classe sociale au sens marxiste du terme. Cette oligarchie a conscience d'elle-même et défend ses privilèges. Elle vit et pense sur une autre planète, dans un entre-soi qui n'admet aucune perturbation par les autres. Les autres, ce sont les modestes jusqu'aux plus pauvres, ceux en voie d'expulsion du local qui sera remplacé par des immeubles cossus. Ces sans-logis ne sont pas soutenus par les habitants aux alentours, pourtant dans les mêmes difficultés de vie qu'eux. Ils n'ont pas conscience d'être une classe sociale qui doit se solidariser pour faire advenir un autre monde, plus égalitaire. Louis (le double de Roger) et Lisbeth se précipitent dans l'action pour appeler à la revendication et constituer cet esprit de classe.
Les Ghettos du Gotha
Ce titre est un rappel de l'un des ouvrages des Pinçon-Charlot, Les Ghettos du Gotha: comment la bourgeoisie défend ses espaces (2009).
Paradis social, paradis fiscal
Magnus, « gros bonnet de la banque », possède des biens immobiliers nombreux, lui procurant bien-être, bien-vivre, lui assurant de juteuses défiscalisations: « un yacht en Méditérranée, L'Espador mouillé à Saint-Tropez » pour un voyage aux abords des côtes de la Sardaigne, puis « Malte, Syracuse, Palerme »; « une villa sur la côte, et autour du château de Brussac [qui domine un village en Dordogne] un tennis et un golf privés »; une « Mercédès »; une « modeste mais luxueuse villa que Magnus possédait sous la pinède de Beauvallon ». A Paris, les bureaux de Magnus « s'ouvraient sur l'Opéra ». Il offre à Roger et sa fille un appartement parisien « dans une des tours du front de Seine, près du Champ-de-Mars ». La ségrégation sociale est marquée par la spatialisation géographique des milieux.
La grande bourgeoisie se livre également à une véritable bataille rangée pour grignoter progressivement sur les espaces des autres, et se les approprier. Toute la narration de la lutte désespérée de la petite troupe théâtrale emmenée par Louis pour obtenir un autre local, mais également le « Jardin des Arts » qu'occupe le personnage de Casthel censé aider Louis dans sa démarche prouvent que les hautes fortunes menacent les espaces, les déséquilibrent à leur profit: « on va nous expulser, pour foutre à notre place quinze étages de béton ». Et « Ca représente des milliards ».
En cela, ils sont largement aidés par la loi et des politiciens, souligne Vercors tout au long du roman. Chacun participe à la pérennité de tous, et donc de soi-même, puisque la position sociale de chacun dépend de celle du groupe.
L'argent sans foi ni loi
Ce titre de l'ouvrage de 2012 des Pinçon-Charlot pourrait très bien convenir au roman de Vercors. Roger prend goût aux affaires de son beau-père. Il commence sans passion par une transaction banquière que lui confie Magnus, et finit par se donner le vertige par la multiplication des achats, rachats, et fusions: « le royaume des affaires: métallurgie, textiles, pétroles, import-export...Il commença de lorgner vers des opérations fructueuses, d'échafauder d'habiles combinaisons ». Les callichromies ne deviennent plus alors qu'une affaire parmi d'autres, plus juteuses. « L'argent appelle l'argent", le succès appelle la recherche de nouvelles acquisitions et la concentration du capital. Les énumérations étourdissantes qui se succèdent à grande vitesse à la fin du roman donnent le vertige à un personnage qui se déconnecte progressivement du monde réel et entre dans les spéculations virtuelles. Roger est d'ailleurs vite blasé, il faut donc que le jeu prenne davantage les couleurs du risque. Le jeu, cette métaphore filée que nous voyons dans le film Le capital de Costa-Gavras, se trouve bel et bien au centre de la nouvelle vie de Roger.
Collusion entre le monde politique et les milieux d'affaires
Magnus est bien introduit dans le monde politique, à petite comme à grande échelle: « le maire et le curé en étaient tout dévoués à Magnus, à qui l'on ne s'adressait jamais en vain pour les besoins de la ville ou de l'église ». Les deux mondes ont des ramifications souterraines qui couvrent tous les « scandales immobiliers". Un personnage du roman dessillent les yeux de Louis: « c'est une mafia, avec des ramifications qui vont jusqu'au pouvoir, tout le monde y fait son beurre ». Au moment où Louis se bat contre la « vente de leur petit théâtre à une société immobilière », il se rend compte que c'est le pot de terre contre le pot de fer. Il fait des démarches auprès des pouvoirs publics, en particulier de la commission du spectacle au Conseil de Paris, mais l'un de ses membres affirme que les « promoteurs sont financés par une banque trop influente ».
Lorsque Roger décide d'entrer dans l'arène de la politique, les liens de Magnus avec les plus hautes sphères politiques se révèlent primordiaux. Magnus aborde donc le Ministre de l'Intérieur et certains préfets de manière stratégique. C'est la soif du pouvoir et l'opportunisme qui poussent Roger à briguer des mandats, certainement pas pour des convictions politiques guidées par une vision du monde. Voyez la métaphore du pouvoir politique: « c'était, d'abord, son ambition, d'être maître à bord d'un bolide, quel qu'en fût le constructeur; c'est ensuite, si possible, gagner la course. Ce n'est qu'accessoirement qu'il court pour tel ou tel, qu'il choisit son drapeau ». Magnus use de ses réseaux pour l'élection de son gendre, il manipule avec opportunisme pour la réussite électoraliste de Roger.
Vision sombre de cette grande bourgeoisie en phase avec le système capitaliste. Quelle solution préconise Vercors dans ce roman ? Il laisse parler un camarade de Louis, le héros dédoublé pour lequel il prend visiblement parti contre Roger:
Nous vivons tout au bout d'un système - d'une " civilisation " qui explose en pleine absurdité, en connerie monumentale. Elle porte sur les yeux, comme la Fortune, un bandeau noir nommé profit, écrase sur son chemin tout ce qui n'est pas immédiatement " rentable ". Beauté, joie de vivre, connaissent pas, il n'y a plus d'autre valeur. Et pas seulement ici: en Russie aussi bien, si c'est sous une autre forme. Et partout. En Inde, en Afrique, au Japon. En Chine, ça reste à voir, mais je n'y crois pas trop.
- Alors qu'est-ce qu'on peut faire ?
- Casser le système. Rien d'autre. Mais ce n'est pas pour ce soir [...].
Du moins Louis et Lisbeth érigent-ils à la fin du récit les premières pierres d'un édifice solidaire en luttant contre ce monde absurde.
Avertissement en guise de conclusion à Comme un frère
Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
A moins que ce ne soit « pas un conte sans queue ni tête raconté par un idiot »...
Article mis en ligne le 9 janvier 2013.