L’analyse sera mise en ligne ultérieurement.
Pour
aller plus loin, lisez mon article: "Jean Bruller-Vercors: se
dire pour dire", Lalies n°28,
Presses de l'ENS- Editions rue d'Ulm, août
2008 (format
papier ou électronique).
La
trilogie Cent ans d'Histoire de France
constitue la deuxième et dernière écriture
autobiographique assumée, après La
Bataille du silence (1967). Le premier
volume fut publié en 1981, le second - Les Occasions perdues ou l’étrange déclin. Cent ans d’histoire
de France. L’après-Briand (1932-1942) - en 1982 et le troisième - Les Nouveaux jours. Esquisse
d’une Europe. Cent ans d’histoire de France. Briand l’oublié (1942-1962)
- en 1984.
Vu le caractère tardif
de cette édition, nous pourrions d'emblée
penser au fait que Vercors, âgé, éprouve,
comme nombre d'écrivains, le besoin de s'épancher
sur son passé et de faire le bilan d'une
vie. C'est sans doute une hypothèse fort
plausible, mais elle n'est pas la seule.
Ces mémoires ultimes se veulent en effet
une double chronique, historique et biographique,
dans le même temps que la littérature des
années 80 se tournait plus précisément vers
la Seconde Guerre mondiale et son cortège
d'horreurs. Dans les années 70, Vercors,
désespéré et effrayé par l'effondrement
de ses espoirs en un socialisme à visage
humain, propose des ouvrages apparemment
moins engagés: quoique toujours prompt à
paraître dans les tribunes, il se replie
sur lui dans ses romans à haute teneur autobiographique
- Le
Radeau de la Méduse et Tendre
Naufrage par exemple -, et se lance
dans des récits fantastiques avec Les
Chevaux du Temps. La percée de la
"Nouvelle Droite" l'incite à repartir
plus visiblement au combat avec Assez
Mentir! et Le
Piège à loup. Ses mémoires Cent
ans d'Histoire de France s'inscrivent
ainsi dans cette perspective, dans
la volonté de lutter contre l'oubli des
hommes et de l'Histoire.
De prime abord, cette
trilogie a de quoi dérouter par son caractère
insolite. Le premier tome de 1981 s'intitule
en effet Moi Aristide Briand. Essai
d’autoportrait. Cent ans d’Histoire de France. L’apogée de la République
(1862-1932)! Vercors entend faire un autoportrait de cet homme politique qu'il
admire depuis les années 20 pour ses actions
en faveur du pacifisme. Sa chronique débute
donc en 1862, année de naissance de Briand,
sous la forme originale d'une autobiographie
de celui qui fut autant l'homme de Verdun
que celui de Locarno. C'est fictivement
Briand qui parle, pourvu du pronom personnel
"je" revendiqué. Dans le préambule,
Vercors explique avoir préféré cette utilisation
du pronom personnel de première personne
pour lever les ambiguïtés. Il faut au contraire
percevoir toute la filiation personnelle
et professionnelle de ces deux hommes dont
les patronymes Briand/Bruller sonnent comme
une similitude. Et c'est d'autant plus perceptible
que la mort de cet homme en 1932,
qui clôture ce premier volet, laisse la
place dans le deuxième tome à Jean Bruller,
alors au sommet de sa maturité personnelle
et artistique, prêt bientôt à participer
dans son milieu intellectuel à défendre
le pacifisme dont il est animé. Dans les
tomes 2 et 3, le lecteur assiste ainsi à
l'engagement de ce dessinateur devenu l'écrivain
Vercors sous l'Occupation, avec la création
des Editions de Minuit clandestines et l'écriture
du célèbre Silence
de la mer. Dans cette chronique
de cent ans, le dernier volet s'arrête en
1962, au moment où le combat de Vercors
en faveur d'une Algérie indépendante trouvait
sa conclusion dans les accords d'Evian.
Ainsi, par rapport à
La Bataille du silence, Vercors a
couvert en plus des années de l'Occupation
celles d'après-guerre, jusqu'au début des
années 60. On remarque néanmoins que son
récit autobiographique reste rivé aux années
de guerre l'ayant si profondément marqué,
et rejette dans l'ombre l'enfance,
les années 20, et les années 60-80. Vercors
se livre donc tout en restant mystérieux,
car peu prolixe sur de larges pans de sa
vie. Le lecteur curieux n'a pas d'autre
choix que de lire sa production entière
pour traquer les éléments biographiques
manquants, en se heurtant cependant aux
doutes et aux interrogations - on hésite
toujours sur la part du réel et du fictionnel
dans des récits qui de toute façon n'ont
pas vocation au pacte de vérité de l'autobiographie.
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