Cent ans d'Histoire de France (1981-1984)
La trilogie Cent ans d'Histoire de France constitue la deuxième et dernière écriture autobiographique assumée, après La Bataille du silence (1967).
- Le premier volume fut publié en 1981 et s'intitule Moi, Aristide Briand
- Le second - Les Occasions perdues ou l’étrange déclin. Cent ans d’histoire de France. L’après-Briand (1932-1942) - en 1982
- Le troisième - Les Nouveaux jours. Esquisse d’une Europe. Cent ans d’histoire de France. Briand l’oublié (1942-1962) - en 1984
Vu le caractère tardif de cette édition, nous pourrions d'emblée penser au fait que Vercors, âgé, éprouve, comme nombre d'écrivains, le besoin de s'épancher sur son passé et de faire le bilan d'une vie. C'est sans doute une hypothèse fort plausible, mais elle n'est pas la seule. Ces mémoires ultimes se veulent en effet une double chronique, historique et biographique, dans le même temps que la littérature des années 80 se tournait plus précisément vers la Seconde Guerre mondiale et son cortège d'horreurs.
Dans les années 70, Vercors, désespéré et effrayé par l'effondrement de ses espoirs en un socialisme à visage humain, propose des ouvrages apparemment moins engagés: quoique toujours prompt à paraître dans les tribunes, il se replie sur lui dans ses romans à haute teneur autobiographique - Le Radeau de la Méduse et Tendre Naufrage par exemple -, et se lance dans des récits fantastiques avec Les Chevaux du Temps. La percée de la « Nouvelle Droite » l'incite à repartir plus visiblement au combat avec Assez Mentir! et Le Piège à loup. Ses mémoires Cent ans d'Histoire de France s'inscrivent ainsi dans cette perspective, dans la volonté de lutter contre l'oubli des hommes et de l'Histoire.
De prime abord, cette trilogie a de quoi dérouter par son caractère insolite. Le premier tome de 1981 s'intitule en effet Moi Aristide Briand. Essai d’autoportrait. Cent ans d’Histoire de France. L’apogée de la République (1862-1932)! Vercors entend faire un autoportrait de cet homme politique qu'il admire depuis les années 20 pour ses actions en faveur du pacifisme. Sa chronique débute donc en 1862, année de naissance de Briand, sous la forme originale d'une autobiographie de celui qui fut autant l'homme de Verdun que celui de Locarno. C'est fictivement Briand qui parle, pourvu du pronom personnel « je » revendiqué. Dans le préambule, Vercors explique avoir préféré cette utilisation du pronom personnel de première personne pour lever les ambiguïtés. Il faut au contraire percevoir toute la filiation personnelle et professionnelle de ces deux hommes dont les patronymes Briand/Bruller sonnent comme une similitude. Et c'est d'autant plus perceptible que la mort de cet homme en 1932, qui clôture ce premier volet, laisse la place dans le deuxième tome à Jean Bruller, alors au sommet de sa maturité personnelle et artistique, prêt bientôt à participer dans son milieu intellectuel à défendre le pacifisme dont il est animé.
Dans les tomes 2 et 3, le lecteur assiste ainsi à l'engagement de ce dessinateur devenu l'écrivain Vercors sous l'Occupation, avec la création des Editions de Minuit clandestines et l'écriture du célèbre Silence de la mer. Dans cette chronique de cent ans, le dernier volet s'arrête en 1962, au moment où le combat de Vercors en faveur d'une Algérie indépendante trouvait sa conclusion dans les accords d'Evian.
Ainsi, par rapport à La Bataille du silence, Vercors a couvert en plus des années de l'Occupation celles d'après-guerre, jusqu'au début des années 60. On remarque néanmoins que son récit autobiographique reste rivé aux années de guerre l'ayant si profondément marqué, et rejette dans l'ombre l'enfance, les années 20, et les années 60-80. Vercors se livre donc tout en restant mystérieux, car peu prolixe sur de larges pans de sa vie. Le lecteur curieux n'a pas d'autre choix que de lire sa production entière pour traquer les éléments biographiques manquants, en se heurtant cependant aux doutes et aux interrogations - on hésite toujours sur la part du réel et du fictionnel dans des récits qui de toute façon n'ont pas vocation au pacte de vérité de l'autobiographie.
- Pour aller plus loin, lisez mon article: « Jean Bruller-Vercors: se dire pour dire », Lalies n°28, Presses de l'ENS- Editions rue d'Ulm, août 2008