Du contrat social vercorien
quelques
réflexions
autour d'une lettre de Vercors à Pierre
Ryaniol,
datée
du 7 septembre 1966
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Politroductions
Préambule
Condition
de l'homme moderne (Hannah Arendt, 1958)
Animal
laborans
Pour
un avènement hors cadre: ni "vivre
pour produire" ni se
divertere
Le
contrat social ou penser à gauche
La
Crise de la culture (Hannah Arendt, 1961)
Du
temps de cerveau disponible pour...la skholé
Contre
la crise de l'éducation:
aude sapere
Préambule
Cette
lettre
de Vercors à Pierre Ryaniol, datée du 7
septembre 1966, est l'une des 3375 lettres
de ma base de données contenant l'ensemble
de sa correspondance croisée (Voir le résumé
de ma thèse dans la rubrique "Mes
travaux").
Cette base de données sera visible de tous
dans les prochains mois. En attendant, j'ai
décidé d'extraire une lettre de Vercors
dont le propos est moins connu de la critique
et des lecteurs.
Cette
lettre porte sur le travail, les loisirs
et les fins que devrait s'assigner l'humanité
dans l'optique et l'éthique vercoriennes.
Elle éclaire des pans entiers de la pensée
de l'intellectuel, et soulève des postulats
et des conséquences que l'écrivain passe
sous silence. Non que sa réflexion soit
indigente sur ces points, mais parce qu'ils
lui semblent évidents. Sauf qu'il convient
toujours de s'interroger sur les évidences
pour en comprendre les terreaux idéologique,
sociologique, politique, etc. Et parfois
d'ailleurs remettre en cause une idée présentée
comme une évidence. Et, on va le constater
plus loin dans cette page, Vercors revient
sur une évidence de nos temps modernes à
la Chaplin.
L'étude de cette lettre permet donc de dessiner
un peu plus le portrait intellectuel de
Vercors.
Certains
postulats sont également passés sous silence
à cause de la nature même d'une missive.
Celle-ci répond à un sujet précis de son
interlocuteur, elle se présente alors comme
un fragment d'un système total. Il faut
donc rapprocher ce document d'autres écrits
sur le même thème. Notamment son roman
Colères
(1956); son dialogue avec le physicien
Jacques Bergier en 1956 sur la définition
de l'homme dans Les
Animaux dénaturés,
ainsi que sur les problèmes de notre civilisation,
précisément pour savoir si les robots
travaillent pour ou contre l'homme; sa présidence
du colloque publié sous le titre Morale
chrétienne, morale marxiste en 1960;
enfin, dans les Rencontres internationales
de Genève en 1965 s'intéressant au Robot,
à la bête et à l'homme, sa présentation
d' "Un
avenir cohérent".
Cette
lettre est un biais pour interroger un aspect
du matérialisme de Vercors, à savoir le
matérialisme historique. Autrement dit,
on doit se demander si Vercors était ou
non marxiste. De lui-même, Vercors dénia
cette filiation à plusieurs reprises. A
son correspondant Paul Misraki, avec lequel
il publia Les
Chemins de l'Etre
(1965), il répliqua en 1976:
"Bien
sûr, vous avez le droit de vous croire rationaliste,
parce que vous raisonnez, comme j'aurais
celui de me croire marxiste, parce que je
dialectise; mais aucun vrai marxiste ne
m'acceptera comme tel, ni vous aucun rationaliste".
Et
on ne trouve nulle part dans sa prose les
termes de "lutte des classes",
de "dictature du prolétariat"
(sauf au détour d'une lettre à André Wurmser),
ou d'appel à la révolution dans un
renversement radical de l'ordre établi.
Sa distance d'avec les Surréalistes ne fut
pas qu'artistique dès l'entre-deux-guerres.
Sa condamnation de leur art fut explicitement
énoncée dans la revue des années 30, Arts
et métiers graphiques. Mais on peut
ajouter à cet éloignement artistique une
distance politique et idéologique, même
si elle resta silencieuse. Point de
goût particulier pour Le
Surréalisme au service de la révolution,
point de rejet virulent de son milieu bourgeois.
Le "Pour un art révolutionnaire indépendant"
de Vercors ne ressemble pas à celui
d'André
Breton et de Léon Trotsky.
Celui de Vercors est une déclaration d'indépendance
proclamée à la face de la nature, et moins
une révolution sociale. Son obsession
part et revient toujours en effet vers les
relations entre l'homme et la nature (sa
nature animale, la nature comme monde environnant). La
Sédition humaine
réside moins, chez Vercors, dans les
rapports de classes que dans les relations
conflictuelles entre l'homme et la nature
depuis que l'homme est homme,
c'est-à-dire depuis que l'homme s'interroge,
sait qu'il ignore et se révolte contre cette
ignorance imposée de nature/par la nature
(et dans ce dernier cas, on s'interroge
sur la divinisation de la Nature dans le
système de l'écrivain, qui le rapproche
de Spinoza).
Pour
autant, Vercors en est conscient et l'exprime
clairement, la lutte humaine pour s'arracher
à sa condition naturelle ne peut advenir
que dans une transformation économique,
sociale, idéologique et politique de la
société. C'est la condition sine qua
non pour que les hommes s'interrogent
et parviennent à "l'élucidation
de toutes nos ignorances, de toutes les
énigmes où nous sommes plongés".
Qu'ils parviennent à la "Connaissance
parfaite" ("Un
avenir cohérent")
qui fleure, que Vercors le veuille ou non,
l'idéalisme. Donc, peu ou prou, Vercors
s'empara de questions que Marx et Engels
posèrent et résolurent dans leurs oeuvres.
Aussi faut-il être attentif aux éléments
que Vercors emprunta aux deux hommes, aux
manques, à son positionnement face au marxisme.
Voici
les premiers
jalons incomplets par une analyse de la lettre de Vercors
à Pierre Ryaniol de 1966.
1)
Condition
de l'homme moderne
Animal
laborans
Je
reprends sciemment le titre d'un ouvrage
de 1958 de la philosophe Hannah Arendt qui
évoque le travail des hommes et la mécanisation.
Arendt veut en effet suggérer que
dans l'état actuel du monde moderne, l'automatisation est
néfaste, car elle ne laisserait qu'une société
de travailleurs "privés de la seule
activité qui leur reste".
Pour une mise au point précise, allez lire
l'article "Hannah
Arendt, Marx et le problème du travail"
du philosophe Denis Collin, en bas de la
page du site
"Actuel Marx".
Vercors, quant à lui,
s'inscrirait dans la lignée du socialisme utopique,
qui a inspiré Marx en partie. Il considère
que le développement de la machine permettrait
au contraire d'offrir à l'homme une vie sociale libérée
du travail. On comprend que Vercors vise
le travail aliénant qu'il assimile implicitement
au travail que l'homme est contraint d'exercer. Ce travail
que l'homme est obligé d'accomplir, en dehors
de toute liberté, pour gagner de quoi survivre.
Il entrave donc toute émancipation sociale
et intellectuelle. Son roman Colères,
écrit entre 1954 et 1956, met justement
en scène des ouvriers écrasés physiquement
et mentalement par une vie de labeur
dans des conditions socio-économiques inégalitaires.
Cette nécessité extérieure imposée empêche
la vie digne d'être vécue, la vie noble
vers laquelle Vercors aimerait porter
chaque homme.
Un an plus tôt, dans
sa communication "Un
avenir cohérent",
Vercors entérinait déjà ce constat: le progrès
humain réside " dans le processus
de libération économique et sociale de masses
de plus en plus grandes". L'une
des solutions tient dans "la machine"
qui est "puissamment humanisante
quand elle nous permet d'accélérer la conquête
de la Connaissance", mais qui est
également "deshumanisante,
quand au lieu de libérer les hommes elle
abrutit l'ouvrier qui la sert, ou quand,
flattant notre paresse, elle encourage l'esprit
à la passivité".
L'homme
doit donc se libérer/être libéré de cette aliénation
pour ne plus rester à l'état d'animal
laborans, certes un peu plus évolué
que les autres espèces, mais pas spécifiquement
humain. Le travail comme "reproduction
de la vie" (Marx) se révèle
un esclavage non humanisant. Dans ce sens,
Vercors se rapproche des thèses de Arendt,
car il stigmatise autant le travail
en tant que tel - c'est-à-dire pris dans
son essence -, que le travail dans un mode
de production particulier - le capitalisme.
Pour
un avènement hors cadre: ni "vivre
pour produire" ni se divertere
Qu'il
en soit ou non conscient, Vercors se place
dans une réflexion marxiste. Quand il projette
l'humanité dans un hors cadre actuel (assurer
une production a minima), il refuse le concept
de travail productif dans le cas de la
production capitaliste qui est production
de plus-value. Pour Vercors, la réduction
du temps de travail aliénant est le moyen nécessaire
pour parvenir à une fin ultime: la
quête de la connaissance.
Pour
autant, Vercors a tendance à faire comme
Arendt si l'on suit toujours la logique
de l'article "Hannah
Arendt, Marx et le problème du travail"
(en bas de la page du site "Actuel
Marx").
Il semble éliminer les analyses précises
aux rapports sociaux de production. Le "vivre
pour produire" englobe apparemment
sans véritable distinction tous les membres
de la société, sans qu'il mentionne que
le travailleur est dépossédé de ses moyens
de production. La confusion entre les moyens
et les fins passe par un postulat philosophique
("des sociétés entières préfèrent
s'en tenir au "vivre pour produire"
qui du moins donne un semblant de sens à
l'existence", affirme Vercors dans
sa lettre à Pierre Ryaniol), non par une
analyse des rapports sociaux de classes.
Et
il glisse dans cette même lettre à une critique
de la société consumériste. Il convient
de replacer cette satire de l'Amérique dans
le cadre idéologique de la guerre froide,
c'est-à-dire dans la bipolarité du bloc
Est-Ouest. Le loisir paraît être un des
aspects de ce "vivre pour produire".
Il s'apparente au divertissement pascalien,
qui consiste à se détourner de sa condition
humaine, et rappelle singulièrement les
planches de La
Danse des vivants
(1932-1938) d'un Jean Bruller toujours aussi
vivant en profondeur chez un Vercors à l'humanisme
moins désabusé. L'organisation sociale du
loisir est bel et bien pensée comme une
volonté commune d'oublier la question existentielle,
et loin des réflexions propres à Marx sur
les rapports sociaux.
Double
aliénation donc: soumis pendant son temps
de travail par des contraintes externes
à lui, tout aussi soumis pendant son temps
de non travail consacré aux "loisirs".
Ce n'est pas véritablement un loisir, mais
Vercors ne remonte pas à la cause principale
de Marx, à savoir un temps de "loisir"
soumis aux déterminations aliénantes
du mode de production capitaliste. Pour
lui, la cause est d'ordre existentielle:
la fuite de chacun dans une "sorte
d'agoraphobie devant l'abîme que la question
["vivre pour quoi?"] dévoile".
Ce
n'est pas que Vercors n'ait pas conscience
de la domination d'une classe, - il tente
d'intégrer la lutte sociale dans son roman
Colères
aux côtés d'une autre lutte, celle qu'il considère
être la lutte
contre la nature; c'est surtout qu'il se
laisse emporter sur la pente de l'abstrait
et de l'idéalisme, malgré les bornes matérialistes
qu'il dit s'assigner. A mon avis, la focalisation
constante et disproportionnée sur l'ignorance
imposée de nature, et par la nature, masque
toute une réflexion sur les ignorances et
les conditionnements imposées par la culture.
J'emploie à escient ces deux grandes entités
que sont nature et culture (ou nature et
civilisation), parce que Vercors y perçoit
une distinction et une rupture fondamentales.
Dans sa fable anthropologique, l'homme naît
à lui-même en allant contre sa nature, contre
la nature. La civilisation qui naît de ce
fait est porteuse d'une sédition rebelle.
Selon Vercors, l'homme n'ignore plus désormais
son ignorance naturelle depuis qu'il s'interroge. Sa
spécificité tient dans l'interrogation.
Aussi, si "neuf
hommes sur dix [...] ne prennent jamais
conscience qu'ils "ignorent" et
qu'ils "vivent comme des animaux",
c'est bien qu'il faut penser ce fait comme
une donnée engendrée par la société. Vercors
intègre ladite donnée dans sa théorie, puisqu'elle
est un moyen de concrétiser la fin ultime
de l'humanité. Elle est première dans
le cheminement vers l'émancipation humaine. Pourtant,
qu'il le souhaite ou non, il la place largement
loin derrière son obsession primordiale,
la lutte de l'homme et de la nature (Voir
ma page sur La
Sédition humaine).
Or,
l'interrogation, propre à notre espèce pour
Vercors, est bien étouffée par des stratégies
socio-économiques et/ou idéologiques qui
relèvent de la civilisation. D'ailleurs,
Jean Bruller a vécu cette expérience dans
les années 20 et 30 comme je le montre dans
mon article "Jean
Bruller, dessinateur et illustrateur de
la littérature coloniale pour la jeunesse
de l'entre-deux-guerres: de Loulou chez
les nègres (1929) à Baba Diène et Morceau-de-Sucre
(1937)", dans le dossier
"Enfance et colonies: fictions et représentations",
paru dans la revue électronique Strenae.
Le jeune homme ne s'interrogeait pas sur
le colonialisme et sur les stéréotypes véhiculés
par la société au sujet des Noirs. L'habitus
ne l'invitait pas en effet à remettre en
cause ce qui était présenté comme une évidence.
Toutefois, progressivement au cours des
années 30, son évolution dans ses réseaux
de sociabilité, ses conditions de vie, son
retour conscient sur lui-même, etc., l'amenèrent
à s'interroger et à manier le crayon contre
les méfaits du colonialisme. Un exemple
parmi d'autres concernant Vercors.
Le
contrat social ou penser à gauche
"Penser à gauche"
fait référence à l'ouvrage Penser à droite
d'Emmanuel Terray. Cet anthropologue tente
de dégager le socle commun des penseurs
de la droite. Pour lui, ceux de droite se
rejoignent sous la bannière des fondamentaux
que sont l'ordre, l'autorité, la hiérarchie
et le refus de l'égalité. En contrepoint,
les invariants de la gauche se fonderaient
sur les notions inverses.
Par sa lettre, Vercors
affirme implicitement au moins deux
de ces valeurs de gauche:
- l'égalité entre les
hommes: la société future qu'il projette
se présente bel et bien comme une société
de citoyens égaux, dans un contrat social
à la Rousseau de type démocratique. Vercors
met en toile de fond les principes du droit
politique fondé sur un pacte entre des
citoyens souverains. C'est un type
de société qui œuvre au service de l'intérêt
général.
- la conception universelle
de l'homme: la narration et les explications
dans sa lettre sont de type généraliste, elles dépassent
les frontières de la France. Conception
qui engage les notions de liberté et d'égalité.
Piste de lecture probable
supplémentaire: peut-être conviendrait-il
de lire le démographe et historien de la
famille, Emmanuel Todd, dans Le Rendez-vous
des civilisations (co-écrit avec Youssef
Courbage en 2007). Dans le cas de ce site,
ce n'est pas tant les réflexions - au demeurant
fort stimulantes - sur les transitions
démographiques qui feraient avancer le débat,
que la synthèse réalisée sur les structures familiales
particulières à certains pays, dont la France.
Héritage dans lequel Jean Bruller baigna.
2)
La
crise de la culture
Je
reprends le titre d'une autre œuvre d'Hannah
Arendt, publié en 1961. Vous trouverez un
court extrait de cet essai sur ce
site, afin
d'en saisir l'enjeu.
Du
temps de cerveaux disponibles pour...la
skholé
Vercors
aspire donc à ce que la société chemine
vers un autre cadre social, idéologique
et politique, dégagée du travail aliénant.
On comprend que si l'idée en soi est révolutionnaire,
la pratique en est graduelle. Il souhaite
ainsi un changement théorique et pratique,
mais dans une stratégie politique réformiste,
plus que révolutionnaire. Il conviendrait
de s'interroger plus avant sur ce réformisme
radical qui semblerait sourdre des propositions
de Vercors. Pour le moment, je renvoie à
la revue d'histoire intellectuelle Mil
Neuf Cent,
dont le numéro 30 de 2012 se centre sur
le sujet. Ce dernier est dévolu à une période
précise ( 1880-1930), mais il constitue
une approche non négligeable du XXe siècle,
et probablement de la pensée politique de
Vercors.
Cf.
l'avant-propos
gratuitement en ligne, sinon l'ensemble
est téléchargeable sur le site Cairn
en accès payant. La revue Histoire
@Politique
consacre, quant à elle, son numéro 13 de
janvier 2011 aux "socialistes
français face au réformisme"
(accès gratuit).
La proposition de Vercors
fait sortir le travail hors du cadre capitaliste
et condamne ipso facto tout impératif
de rentabilité économique. Pour autant,
elle ne prône pas un droit à la paresse.
Le travail tel que l'écrivain le conçoit
se situe dans une éthique collective, celle
de la recherche, dans tous les domaines,
du sens de l'homme. Le travail aliénant
supprimé serait remplacé par un travail
d'un autre ordre, dans une mutualisation
des capacités et des intérêts, chacun dans
sa spécialité, mais tous dans le même objectif.
Se libérer du travail aliénant, ce serait
pour Vercors avoir l'opportunité de stimuler
la fonction cérébrale de l'homo
interrogans sorti des brumes de l'animal
laborans. Le loisir ne serait plus le
divertissement, mais la skholé de
type antique. Une skholé néanmoins
moderne,
non réservée à une minorité, mais accessible
au plus grand nombre:
"A mesure que
les humains accèderont en nombre croissant
à la pensée, à mesure que croîtra le nombre
d'esprits qui s'intéresseront aux problèmes
de notre époque, il se produira de véritables
mutations pour l'humanité toute entière"
("Un
avenir cohérent").
Contre
la crise de l'éducation: aude
sapere
Evidemment,
dans cette lettre programmatique, Vercors
réserve une place de choix à l'éducation
et l'instruction de la jeunesse, espoir
de son utopie progressiste. L'école se révèle
donc un maillon essentiel de son projet.
Lorsque Hannah Arendt analysa la crise de
l'éducation en Amérique, elle distingua
trois points cruciaux:
-
erreur de penser qu'il existe un monde de
l'enfant qui se gouverne par lui-même affranchi
de l'autorité des adultes, donc "ne
prendre en considération que le groupe et
non l'enfant en tant qu'individu".
-
erreur d'une "pégagogie [...] devenue
science de l'enseignement en général, au
point de s'affranchir complètement de la
matière à enseigner", alors que
les hautes compétences disciplinaires assurent
une autorité.
-
erreur de "substituer le faire à
l'apprendre" dans la croyance qu'un
enfant peut savoir et comprendre que ce
qu'il a fait lui-même.
Visionnaire analyse
aux echos contemporains troublants.
On
comprend que, dans sa lettre, Vercors plaide
pour une école exigeante fondée sur la transmission
des savoirs, garante de l'éveil de
la libido sciendi, et ce, dès le
plus jeune âge. Curiosité, esprit critique
d'enfants, bientôt futurs citoyens.
La
condition sine qua non de cette skholé
générale passe obligatoirement ex ante par
une transformation idéologique et sociale, affirme Vercors. Et c'est
pourquoi les liens entre Vercors et le marxisme
devraient être approfondis. Quel marxisme
implicite? Dans quel courant se situerait-il?
(marxisme orthodoxe, marxisme hétérodoxe...). Quels
rapports avec son compagnonnage de route
avec le PCF? Quelles similitudes avec les
intellectuels de son époque?
Pour une approche générale, lisez déjà "Les
écrivains et le marxisme en France: problématique
d'ensemble et essai de périodisation"
de Koenraad Geldof. Ou encore le panorama
global de Philippe Cabin: "Les
intellectuels et le marxisme".
J'avancerai
une autre piste de lecture, plus audacieuse:
le rapprochement entre Marx et Spinoza pour
penser la domination dans le mode de production
capitaliste. Vercors ne se réclamait pas
vraiment de Marx (on peut néanmoins s'interroger
sur les implicites de certaines de ses pensées,
comme je viens de le faire dans cet article),
mais il fit souvent référence au philosophe
Spinoza (et de vrais parallèles peuvent
être discutés de façon fructueuse). C'est
le propos stimulant de l'économiste érudit
Frédéric Lordon dans Capitalisme, désir et
servitude. Marx et Spinoza (2010). Il
faut l'écouter dans de larges extraits de l'émission
"D@ns le texte" sur les sites
Youtube
ou Dailymotion
(Sinon l'émission est accessible sur le
site payant Arrêt sur images).
Puis lire des critiques divergentes, notamment
sur le site Lectures
et le blog
du philosophe Denis Collin. Il me paraît possible
d'éclairer des angles de la pensée vercorienne
par ce biais, en restant bien sûr prudent
par une mise en situation constante dans
le temps chronologique de la traversée du
siècle de l'écrivain. Une pensée politique que,
trois mois avant son décès, dans l'émission
Caractères du 15 mars 1991,
l'écrivain résuma dans cette formule:
"La
société ne peut pas continuer comme
elle est. Le capitalisme sauvage ne peut
pas être un futur".
Article
mis en ligne le 10 juin 2012
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