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 Dessinateur et graveur

  

Episode 4: Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel (1928)

Vous pouvez lire ensuite  la résolution de l'enquête à la page Jean Bruller, Nathan et Citroën.

A la manière de Gulliver, le héros Fifi part à chaque chapitre à la découverte de mondes nouveaux, avec des modes d'existence et des coutumes qui invitent à se délecter de cet imaginaire ou à réfléchir sur le monde de l'entre-deux-guerres.

Préambule: Jean Montaigne, Jean Bruller, Fernand Nathan

Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan est un récit de Jean Montaigne, mais...

Un univers et une écriture caractéristiques de Jean Montaigne

Des mondes féériques ou comiques aux réminiscences littéraires

...à partir du chapitre "A travers le ciel", des détails invitent à réfléchir aux modalités  de "Coopération Intellectuelle" de Jean Bruller

Les notes de bas de pages et autres phrases isolées dans Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel

Retour sur la paternité de Frisemouche et de Loulou

 

 

Préambule: Jean Montaigne, Jean Bruller, Fernand Nathan

Que sait-on de Jean Montaigne? Il est très difficile de trouver des informations sur cet écrivain. La Bnf ne propose aucune notice biographique et, malgré mes recherches dans diverses directions, le portrait est bien lacunaire.

Quatre ouvrages à destination du jeune public ont été publiés chez Nathan au cours des années 20:

- Contes de la Baie des Anges publié en 1921, livre plusieurs fois réédité, et illustré par Maitrejean.

Contes de la Sirène en 1923 et Contes hurluberlus en 1924, de maquettes identiques et illustrés encore une fois par Maitrejean.

         

Sur ces trois ouvrages, on peut lire que Jean Montaigne a été "lauréat de l'Académie Française". Ces ouvrages furent publiés dans la série des "Contes merveilleux" par un éditeur qui fut un pionnier dans la littérature éducative et pédagogique pour la jeunesse. Ainsi nous rappelle ce site, il lança dès 1916 la collection "Contes et Légendes".

- Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel, publié en 1928, cette fois-ci illustré par Jean Bruller. Il fut édté dans la série "La Magnifique" chez Nathan, comme Loulou chez les nègres.

Dans les années 30, on retrouve régulièrement des articles de Jean Montaigne dans l'hebdomadaire du reportage, Voilà, créé fin mars 1931. En 1934, il écrit des articles titrés "Escales. Grand reportage du monde"; en 1935, "Français dans le monde", en 1936, il semble avoir décrit des pays (par exemple les USA dans le n°254 du 1er février 1936); en 1937, il dresse les portraits de personnalités, puis évoque "Les merveilles de la mer", avant de revenir à des descriptions de pays en 1938.

Sur le Net, on peut parfois lire que les dessins des Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel sont "attribués" à Jean Bruller comme si un doute subsistait. Il est vrai qu'aucun des dessins en ombre chinoise n'est explicitement signé de son nom, contrairement à ceux de Frisemouche fait de l'auto (1926) et de Loulou chez les nègres (1929). Mais ces dessins sont bel et bien de Jean Bruller. Les catalogues Nathan de ces années-là, que j'ai consultés, firent la promotion de cet album pour la jeunesse en complimentant le "maître Jean Bruller". Et ceux qui connaissent l'univers artistique de celui-ci, et qui ont pu examiner ses dessins pour la littérature de jeunesse, se sont aperçus que le même héros revient de manière récurrente d'un album l'autre.

La présentation matérielle entre le texte et l'image est novatrice dans Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel, là où elle reste traditionnelle dans Contes de la baie des anges, Contes de la Sirène  et  Contes hurluberlus. Dans l'entre-deux-guerres, "En raison de sa marginalité, l'album pour enfants constitue un secteur ouvert aux expériences", rappelle Michel Dufourny dans le Catalogue de l'exposition de la Bibliothèque de l'Heure Joyeuse, Charles Vildrac, écrire pour l'enfant (2001).

La mise en page des Contes de Jean Montaigne obéit aux emplacements habituels: image en frontispice, image en bandeau ou en cul-de-lampe pour ouvrir et fermer un chapitre, image en pleine page, image en vignette, de dimensions variables, parfois avec légendes. Or, pour Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel, tout comme pour Loulou chez les nègres,  Nathan suit  les traces d'autres éditeurs novateurs et propose une série qui institue de nouveaux rapports entre le texte et l'image. Les images se déploient avec inventivité et originalité dans l'espace de la page. Elles dialoguent avec le récit, elles le coupent, le traversent, rebondissent sur lui, et vont même jusqu'à prendre la première place. La mise en page est une véritable mise en scène. Elle sert l'image qui ne copie pas servilement le texte, mais y répond. Les illustrations racontent la même histoire, mais sous un autre angle, avec des détails que le récit ne mentionne pas. C'est exactement le sens que Jean Bruller donnait à son art. En 1930, il exercera celui-ci avec un pareil bonheur dans Patapoufs et Filifers d'André Maurois, édité par Paul Hartmann qui choisit, dans une rupture avec le format traditionnel,  le rectangle comme format (comme d'autres éditeurs opteront pour le format carré, tel le livre L'Île rose de Charles Vildrac publié en 1924 chez Alfred Tolmer, imprimeur et publiciste), et dédie la surface de la page à un nouveau rapport texte-images.

       

 Deux pages des Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel

 

 Pour approfondir le sujet, lisez par exemple Ecrire pour la jeunesse en France et en Allemagne dans l'entre-deux-guerres de Mathilde Lévêque, Presses Universitaires de Rennes, Collection "Interférences", 2011.

 

Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan... est un récit de Jean Montaigne, mais...

1) Un univers et une écriture caractéristiques de Jean Montaigne

Après avoir attentivement lu les quatre livres pour la jeunesse nommés ci-dessus édités chez Nathan, je suis en mesure d'affirmer que le style des Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel est bien celui de Jean Montaigne.

Du point de vue stylistique, l'écriture de Jean Montaigne est très reconnaissable. En effet, cet auteur s'amuse avec la langue. Le ryhtme est vif avec de nombreuses accumulations de verbes (souvent sur un rythme ternaire), en outre des verbes souvent synonymes. Les exclamations prédominent, les répétitions d'une même proposition phrastique se rencontrent régulièrement ("Et mon pauvre Liloulouli! mon pauvre Liloulouli! Il était pâle! Il était pâle!" dans Contes de la Sirène). Le ton se veut familier, faussement badin; le vocabulaire relève de l'oral avec une continuelle invention langagière. Les onomatopées fourmillent: "v'lan", "pan" , "Frrrriiiittt...", etc.

Jean Montaigne aime jouer avec les mots et leurs sonorités: "Et Fafanor de foncer sur..."; ses héros sont "turlupinés" et "tarabustés" par d'autres personnages. Allitérations et assonances se retrouvent aussi dans les noms des héros dans un perpétuel tournoiement langagier humoristique. Le mot est la chose, signifiant et signifié riment en osmose parfaite: "Crokos le caïman"; "Madame Boulibaba"; "Sur la planète Simiamani", Fifi fait la connaissance des "Anthropes" dominés par les "Simianos"; il parcourt la planète des "Rosenfants", mot-valise qui mime bien le fait que ce sont "des enfants de roses"; ou encore "Sur la planète des Placidiamini",  une planète bien rabelaisienne, les capitaines se prénomment comiquement "Kiabu-Boira" et "Baric des Danaïdes". L'onomastique est toujours signifiante, pour le plaisir des petits et des grands.

 

2) Des mondes féériques ou comiques aux réminiscences littéraires

Dans son récit de 1928, Jean Montaigne se place sous l'égide avouée de Jonathan Swift: "Fifi-Tutu-Panpan, grand voyageur devant l'Eternel, bien plus grand que l'Anglais Gulliver". Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel est un de ces livres pour enfants qui invite au voyage littéraire et imaginaire. Il se glisse à la jonction de la littérature de voyage et du récit d'anticipation, à la manière de l'Histoire comique des Etats et Empires de la lune et de l'Histoire comique des Etats et Empires du Soleil de Cyrano de Bergerac, ce libertin érudit du XVIIe siècle gravitant dans le cercle de Gassendi. A la manière également de Voltaire, notamment avec le conte philosophique Micromegas. Ce type de voyage fantaisiste ne cache pas la gravité du propos. Il est le prétexte à une réflexion humaniste sur le regard que l'on porte à l'autre: l'altérité à laquelle nous ne sommes pas habitués est étrange certes, mais elle interroge la relativité des coutumes et appelle à la tolérance. C'est dans cette veine qu'André Maurois écrivit en cette même année 1928 Deux Fragments d'une histoire universelle. 1992, publié chez Hartmann un an plus tard et illustré par Jean Bruller. Dans un renversement comique du regard, ce sont les êtres humains qui sont observés et jugés par l'Uranien A.E 17 et ses confrères scientifiques. Comment ces hommes, "grouillement confus" aux mœurs stupides, ces "moisissures terrestres" enfermés dans des "hommilières", peuvent-ils être doués d'intelligence? Inconcevable! Fifi, quant à lui, peut autant paraître un Dieu aux yeux de certains peuples (les Anthropes que le héros sauve des Simianis) qu'une "espèce de Nigaudino" sur une planète plus évoluée que ce "petit tas de boue" qu'est la Terre, comme dirait Voltaire dans Micromegas. A chaque fois que Fifi arrive sur une planète si différente de la sienne, les habitants se demandent avec étonnement comment on peut être non pas persans (Lettres persanes de Montesquieu), mais terriens.

Le jeune héros part à la découverte de mondes que l'on peut classer en deux grandes catégories:

- les mondes féériques invitant à l'imagination pure, au bercement de la poésie de ce monde mis en mots, comme "Sur la planète des Rosenfants".

- les mondes dont deux peuples se livrent à une guerre, rappel évident du monde de l'entre-deux-guerres espérant dans le pacifisme. Cette œuvre de Jean Montaigne et les deux livres d'André Maurois que Jean Bruller illustra s'ancrent dans cette actualité et dans cette idéologie. Jean Montaigne s'appesantit sur le conflit absurde qui oppose les "Hommes-poissons", les "Hommes-oiseaux" et les "Hommes-hommes" pour gagner le trophée que représente Fifi. Mais l'auteur s'adresse aux enfants, il ne l'oublie pas: il est des guerres qui se règlent grâce à la "Dive Bouteille"! Jean Montaigne est un héritier de Rabelais. Au début de l'histoire, il n'a pas hésité à citer les "planètes Alcofribas, Picrocole, Grandgousier, Panurge et Gargantua". Sur la planète des "Placidiamini", les belligérants, parce qu'ils se nomment les "Zimboumboums" et les "Boumzimzims", font référence aux Abares et aux Bulgares du chapitre III de Candide de Voltaire. Cette sonorité similaire dans les noms signale qu'il s'agit d'une guerre fratricide. Dans l'univers de Jean Montaigne, et dans ce chapitre-là seulement, les deux armées aux noms comiques se battent à coups de brocs! C'est à qui tiendra le mieux la boisson afin de remporter la victoire sur l'ennemi.

 

... des détails à partir du chapitre "A travers le ciel" invitent à réfléchir aux modalités  de "Coopération Intellectuelle" de Jean Bruller

"Délégué de la Section Terrienne à l'Office Interplanétaire de Coopération Intellectuelle". Cet envoi de Jean Bruller figure sur l'un des exemplaires de Deux fragments d'une histoire universelle. 1992 d'André Maurois, publié chez Paul Hartmann fin 1929, après une première édition aux Editions des Portiques un an plus tôt. Jusqu'où alla cette coopération intellectuelle pour certains ouvrages qu'il illustra dans l'entre-deux-guerres? Ecrivit-il certains chapitres? Souffla-t-il quelques phrases, du moins suggéra-t-il des idées en laissant à l'auteur le soin de les écrire à sa façon? Emprunta-t-il ultérieurement des éléments narratifs ou expressifs aux ouvrages qu'il avait ornés de ses dessins?

 

1) Les notes de bas de pages et autres phrases isolées dans Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel

Dans son ensemble, tout le récit de 1928 a été écrit par Jean Montaigne. On ne décèle aucune rupture de style, dans un chapitre entier comme dans quelques pages. En revanche, les notes de bas de pages se multiplient à partir du chapitre "A travers le ciel" jusqu'à la fin de l'histoire. Elles passeraient inaperçues si elles ne rappelaient étrangement la bande dessinée de Jean Bruller, Le Mariage de Monsieur Lakonik (1931).

On rencontre deux fois la pratique de la note de bas de page chez Jean Montaigne. C'est dans Contes hurluberlus, aux pages 28 et 46. C'est néanmoins suffisant pour laisser notre propos dans l'hypothèse, en particulier en l'absence de preuve matérielle. Seulement, ces deux notes concernent la diégèse, elles n'ont rien d'un discours réflexif sur la fabrique de la littérature ou sur des orientations politiques.

- Dans Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel, deux notes insistent sur les figures de style: "Naturellement, lorsque je parle des boucles soyeuses de la comète, je parle au figuré, par image, car cette chevelure était faite, non de vrais cheveux, mais de rayons lumineux, souples et chauds" (page 70), ainsi que "Polichinelle d'ailleurs, en disant "tu écriras" parlait par synecdoque, ou catachrèse, c'est-à-dire par figure de rhétorique, et non au sens littéral de l'expression" (page 121).

Ce détail de 1928 en rappelle deux autres dans Le Mariage de Monsieur Lakonik: "(métaphore extraite du récit que M. Lakonik fit par la suite de ses aventures)" et "(l'auteur attire l'attention du lecteur sur cette puissante métaphore)".

- A la page 112, une longue note se termine par une critique de la Société des Nations: "Mais ces Messieurs de la SDN ont d'autres chats à fouetter! (Réflexion de Fifi)". Or, quelques mois plus tôt, le pacifiste Jean Bruller avait fustigé les réunions stériles de la SDN dans un dessin publié dans la revue Le Rire, n°457 du  5 novembre 1927. Il intitula ce dessin "Un débat passionnant à la S.D.N" et l'assortit de cette légende: "...Je sais, messieurs, que vous comprenez toute la gravité de la situation et que vous ne la perdez pas de vue". L'ironie tient dans l'écart entre le texte et le dessin: gravité de l'enjeu d'un côté, dissipation des participants absorbés par un sujet plus léger de l'autre. Plus tard, en 1932, dans La Danse des vivants, il revint sur le sujet, toujours de manière satirique, dans la planche "Congrès des nations ou le Destin des peuples". A partir de la fin des années 20, je l'ai déjà dit, le crayon de Jean Bruller se politise, jusque dans les livres pour le jeune public. J'ai retrouvé dans le fonds Hartmann une lettre d'André Maurois à l'éditeur, datée du 27 novembre 1930, à propos de Patapoufs et Filifers. Après des compliments sur "les dessins de Bruller absolument amusants", il émet une critique sur l'une des légendes inventées par le dessinateur: " je n'aurais pas appelé un chef d'orchestre Gros-René Bathouf; je crois que toute satire gagne en durée à s'éloigner de l'actualité". La Muse de Jean Bruller fut pour l'essentiel hissée dans l'intemporalité, mais l'artiste ne pouvait s'empêcher de faire référence au présent dans certains dessins et dans certaines remarques.

Si on peut poser l'hypothèse d'un Jean Bruller auteur de ces notes, c'est parce qu'il aimait à recycler ses dessins et ses textes d'une œuvre à l'autre. Les exemples abondent. Outre ceux que j'ai énumérés ci-dessus, pensons, entre bien d'autres exemples, au dessin "L'Insatiable" paru dans la revue légère Fantasio reparaissant dans La Danse des vivants sous le titre "Erotisme". Et pour revenir à Fifi, comparons un de ses dessins de 1928 ( à gauche) avec sa variante de 1929 de Deux Fragments d'une histoire universelle. 1992 (à droite):

    

 

De même, et cette fois-ci à l'intérieur du récit de 1928, on ne peut qu'être surpris par la mise en exergue sur la surface de la page de " Et ce qui devait arriver...N'arriva pas", repris dans le titre du chapitre 37 du Mariage de Monsieur Lakonik: "Où ce qui devait fatalement survenir...ne survient pas".

Les coïncidences sont troublantes. Reste à connaître, dans l'hypothèse que Jean Bruller participa à l'écriture de certains ouvrages de jeunesse qu'il illustrait, les modalités de sa "Coopération Intellectuelle".

- Souffla-t-il ses idées aux auteurs? Jamais Vercors ne signala qu'il travailla directement avec Jean Montaigne, ni même qu'il le rencontra. Comme on sait qu'il fut peu prolixe sur cette période, l'hypothèse reste toutefois plausible.

- S'il ne travailla pas directement avec les auteurs, eut-il la possibilité d'intervenir sur les manuscrits avant leur impression? De plus, surveillait-il la fabrication des ouvrages qu'il illustrait? Cela pourrait être possible, et c'est ce qui est en cours de recherche actuellement: quelle place exacte Jean Bruller avait-il chez Nathan entre 1924, date de la fin de ses études, et 1929, date de son basculement chez l'éditeur Hartmann? Dans ce cas, les clins d'oeil dans Le Mariage de Monsieur Lakonik fonctionneraient comme un aveu de sa participation minime, mais réelle, à l'invention de certains récits.

- Dans le cas contraire, Jean Bruller fut marqué par des éléments narratifs et expressifs des ouvrages qu'il illustrait et il se servit de leur inventio pour créer ses propres ouvrages, précisément Le Mariage de Monsieur Lakonik.

 

2) Retour sur la paternité de Frisemouche et de Loulou

D'autres éléments contenus dans l'ouvrage de Jean Montaigne renvoient à Frisemouche fait de l'auto (1926) et Loulou chez les nègres (1929). Nous revenons donc au point de départ de l'enquête: qui, de Jean Bruller ou d'Alphonse Crozière, a écrit ces deux récits édités également chez Nathan? Du moins, comment Jean Bruller coopéra-t-il à l'écriture de ces textes, même s'il s'avère que ce n'était que dans les détails de la narration?

- Ainsi, Frisemouche clame sa colère contre ses parents dans son journal intime à la date du 20 septembre: Cette petite formalité accomplie - car il faut reconnaître que notre héros était bien jeune pour rédiger déjà ses mémoires [...]".

Cela rappelle le récit de Jean Montaigne: Polichinelle déclare solennellement à Fifi: "Oui, pour l'édification et l'enseignement des siècles futurs, mon Fifi chéri, tu écriras tes Mémoires (1)! [...]

Note (1): "Fifi n'a pas écrit ses mémoires; il me les a dictés, ce qui revient peut-être au même, ce qui vaut mieux".

 

- En 1928, Fifi, garçonnet blond de 10 ans destiné à être cuisiné à la "sauce tomate" par les "Hommes-poissons", est sauvé par la fille de la Reine qui "le veu[t] pour poupée". Et en 1929, Loulou fait un cauchemar: celui d'être mangé par les cannibales à la "sauce béchamel". Il sera sauvé grâce à la convoitise d'une fillette de la tribu des cannibales, puisqu'elle rendra sa liberté à Loulou contre la  "poupée-fétiche".

 

- Pour revenir à l'Affaire Citroën, Frisemouche circule dans  sa Citroënnette "Tout-Acier" dont il est si fier. Normal puisque ce récit de 1926 a été rédigé pour les Editions enfantines Citroën. En 1928, dans une note de bas de page (encore une fois), Fifi s'exclame: " Et dire que les habitants de la Terre sont si  fiers de leurs odieuses voitures à pétrole! Pouah! (Cette réflexion est de Fifi.). Dans la chronique des liens Citroën-Nathan que je suis en train de reconstituer, à la date de 1927, l'éditeur demande à Citroën l'autorisation de faire de la publicité pour la vente de Frisemouche fait de l'auto. Les relations, quoique courtoises, se sont distendues entre Citroën et Nathan. En janvier 1927, Citroën accepta l'escompte accordé par Nathan sur la facture de cet album, légitime, écrit-il,  après les "ennuis et frais qui nous ont été occasionnés par la mise en vente du livre". Jean Bruller s'occupa de la plaquette publicitaire de 1927 pour accélérer la vente de l'album - les archives le prouvent -. Sil est cette année-là l'auteur de la note de bas de page dans Les Mirifiques pérégrinations de Fifi-Tutu-Panpan à travers le ciel, qu'il l'ait écrite ou qu'il l'ait suggérée à Jean Montaigne, il se rangea du côté des intérêts de Nathan (et des siens). En 1929, Loulou, le double de Frisemouche, part en Afrique à bord d'une mystériseuse "D.S.M.E". Une deux ou trois chevaux? Non, "un demi-bourrique vapeur"! Et la critique éclate dans les chapitres consacrées à la "mission John Citron" dans Le Mariage de Monsieur Lakonik.

Pourquoi donc Jean Bruller n'aurait-il jamais parlé de ses éventuelles "Coopérations intellectuelles" pour les ouvrages qu'il illustra? Aucune idée, mais notre questionnement est légitime à cause de toutes ces coïncidences entre les récits. On peut aisément montrer que Jean Bruller ne se contenta pas d'illustrer l'oeuvre de son ami Paul Silva-Coronel. Il écrivit une partie de Couleurs d'Egypte (1935) en recyclant des textes de son journal gai L'Ingénu (1923-1924). Allez lire cette page pour vous en convaincre.

Article mis en ligne le 19 janvier 2012

 

 

 

 

 

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