Le
récit de voyage comme genre politico-littéraire
Les
Croisières rouges de Vercors
Voyage
en URSS
Voyage
à Cuba
Voyage
en Chine
Le
récit de voyage comme genre politico-littéraire
Avant d'étudier les voyages professionnels
de Vercors en URSS, en Chine et à Cuba,
rappelons quelques principes du récit de
voyage.
Le récit de voyage
engendre une réflexion littéraire. C'est en effet un récit fortement codé, par
un agencement similaire avec une combinaison de permanence et de changement.Les écrivains-voyageurs passent par des lieux communs dans leur prose :
1) le départ
2) le périple
3) le voyage de retour
1) Le récit du départ
est généralement introduite par une déclaration d'intention, une
profession de foi liminaire sur le mode intimiste de la confession.
Cela motive les raisons du voyage au nom d'un mystère à élucider.
Le voyageur-écrivain se donne une fonction dans ce jeu de la vérité
et du mensonge. Au début de l'ère chrétienne, une suspicion planait sur ces récits : « Tout homme qui raconte son voyage est
un fanfaron » (Strabbon).
Le voyageur souhaite donc apporter des
preuves de sa bonne foi et fait un constant travail
d'authentification. Il se présente comme un paladin de la vérité, quand il voyage pour son
compte personnel ou, encore plus, quand il est un officiel du voyage
qui accrédite et légitimise son statut. C'est une narratio authentica
(= « fonction testimoniale » en terme de narratologie
selon Gérard Genette).
Nous
nous demanderons donc si Vercors souscrit
à cet exorde dans ses récits de voyage dans
les 3 pays cités ci-dessus.
2) Le périple proprement dit relève
d'une poétique du voyage :
aventure et étrangeté, exotisme et altérité sont de la partie généralement. Il
y a un jeu sur l'imaginaire
et le rêve. L'écrivain se perçoit dans une démarche analogue à celle des grands découvreurs de
terres inconnues pour combler l'horizon d'attente du lecteur-voyageur
que nous sommes.
Lors de son voyage, l'écrivain
doit avoir des qualités d'observateur hors pair et promener sur
cette terra incognita qu'il parcourt un regard vierge, innocent et
objectif tel le Huron de Voltaire. Il se fait enquêteur, reporter
avec pour méthodologie la collecte directe par la vue et l'oreille.
Il se refuse de juger et rejette tout regard normatif. Il tente d'avoir un regard « vrai »
sur le pays visité et ses habitants. La trilogie
« voir-savoir-comprendre » forme son discours de la
méthode. Il doit ainsi avoir une compétence acquise : un « savoir-voir ».
En filigrane il se compare au savant enfermé dans sa
bibliothèque. Il valorise la primauté de l'expérience par rapport au savant : « Experientia est rerum magistra »
(Aristote).
Le temps du voyage peut
utiliser les ressorts narratifs et persuasifs du carnet de route, du
journal de bord pour faire vrai et gommer la recomposition
rétrospective.
3) A son retour de voyage, nous
percevons trois grandes postures
pour signifier les
intentionnalités du récit, pour motiver les raisons de l'écriture
du voyage :
- Ethos de
l'aventurier pour divertir. Nombre de récits commencent par « les
tribulations... » pour donner une dimension picaresque et pittoresque.
C'est le cas du récit de voyage
en Chine de Vercors.
- Ethos de l'humble
médiateur pour témoigner dans un but édifiant et humaniste.
- Ethos du voyageur
philosophe pour instruire. Voyager est une expérience
philosophique. Le voyageur a une mission, celle de communiquer son
expérience, d'être utile à ses concitoyens, d'où la nécessité
de l'écriture.
Le voyageur prend soin de
se distinguer de son double le touriste. Il se situe dans le lignage
prestigieux des explorateurs, archétypes valorisés par toute une
mythologie du voyage. Le touriste est son double monstrueux et
dénaturé, uune figure à exécrer, à stigmatiser dans cet
imaginaire vagabond. Le voyageur, lui, est indépendant et autonome.
Il ne se contente pas du « simple voir » superficiel du
touriste qui n'a ni acuité ni connaissance face à ce qu'il voit.
Analysons
désormais les récits de Vercors pour voir
dans quelle mesure ce dernier s'insère dans
ce dispositif d'un genre politico-littéraire
lorsqu'il s'agit de rendre compte des sociétés
communistes.
Les
Croisières rouges de Vercors
A
venir en juin 2023...En attendant, écoutez
la conférence
de Vercors de 1979.
Voyage
en URSS
Voyage
à Cuba
Voyage
en Chine
L'ouvrage Les Divagations d’un Français en
Chine (1956) se présente comme le récit de voyage de Vercors en Chine,
accompagné de dessins de Jean Bruller.
C'est
le décalage entre le voyage effectué entre
septembre et novembre 1953 et la date de
publication du compte-rendu qu'il convient
de soulever. Trois ans ont passé depuis
son émerveillement qui le mènera à nouveau
dans ce pays en 1978. Pourquoi cette édition
si tardive?
Disons
que, dès son retour, Vercors publia
de nombreux compte-rendus dans des journaux
divers et fut sollicité pour évoquer ce
pays dans des préfaces, mais il hésita à
apporter un témoignage si subjectif sur
un pays pour lequel il fondait ses
espoirs. Pourtant il changea d'avis et écrivit
son récit de voyage par plaisir, dit-il
en préambule, mais aussi à notre avis car
l'année 1956 fut pourvoyeuse en déceptions en
regardant vers Moscou. Au contraire, la
Chine réactivait ses espoirs politiques.
Comme pour beaucoup d'intellectuels, tourner
ses regards vers la Chine et bientôt Cuba
rappela à Vercors la préface de L'Heure
du Choix (1947), à savoir que l'URSS
était un exemple, non un modèle.
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