Vercors,
un citoyen du monde
Histoire globale
du mouvement des citoyens du monde
Vercors dans
ce mouvement: intérêt, rôle, discours
Histoire globale
du mouvement des citoyens du monde
Le
mouvement des citoyens du monde s'inscrit
dans la période de la Guerre froide. De
nombreux intellectuels craignaient alors
une 3e guerre mondiale. Des associations
en faveur de la paix furent créées, dont
celle à laquelle Vercors appartenait: le
Mouvement de la Paix.
Le
mouvement des citoyens du monde apparaît
au premier abord comme l'acte d'un homme
seul, Garry Davis. En mai 1948, l'ancien
pilote américain Davis décida de renoncer
à sa nationalité et de se déclarer le "premier
citoyen du monde" au nom d'un idéal
de fraternité universelle. Il interpella
l'ONU.
Il
ne faut pas croire qu'un homme tout seul,
malgré l'originalité de sa démarche, puisse
soulever l'enthousiasme des foules. Des
personnalités, un groupe d'intellectuels
s'intéressèrent fortement à sa démarche, le
soutinrent, assurèrent les relais. Les premiers:
Robert Sarrazac et Jeanne Allemand-Martin.
Sarrazac
et Allemand-Martin avaient fondé en 1946
l'association du Front humain des citoyens
du monde. Ils participèrent à des réunions
et à des congrès en faveur de l'instauration
d'un gouvernement mondial au nom d'une unification
humaniste du monde. S'ils n'approuvaient
pas la transformation de l'ONU
en gouvernement mondial, ils approuvaient
l'idée de l'élection d'une Assemblée constituante
mondiale. Quoi qu'il en soit, ils se sentaient
en marge des groupes qui dirigeaint les congrès
entre 1946 et 1948. Aussi l'initiative de
Garry Davis en 1949 leur sembla-t-elle séduisante,
lorsqu'ils lirent les articles favorables
à Davis installé jour et nuit à Chaillot
depuis le 14 septembre.
Le
Front humain entra alors en scène, discrètement
derrière Davis pour le soutenir dans sa
volonté d'emmener des anonymes comme des
personnalités
célèbres dans son aventure des citoyens
du monde. Dans le tourbillon décisionnaire
et médiatique qui dura plus d'une année
- entre mai 1948 et juillet 1949 -, le populaire
Davis fut mis en avant, mais resta finalement
à l'écart des prises de décisions.
La
rupture entre Davis et Sarrazac fut consommée
en juillet 1949, même si elle fut annoncée
publiquement comme un retrait temporaire
de Davis. Elle se produisit au moment où
la ville de Cahors signa la Charte de Mondialisation,
suivie de 239 communes du Lot. La ville
se déclara Cahors Mundi et fêta en
juin 1950 sa mondialisation avec l'inauguration
de la Route sans Frontières n°1.
Le 24 juin 1950 furent installées des bornes
dans le Lot, désormais Territoire Mondial.
Cette
borne est visible au Musée Henri-Martin
(voir ce
lien).
En mai 2019, de nouvelles bornes furent
posées sur leur emplacement d'origine, à
Cahors et à Saint-Cirq-Lapopie.
Pour
aller plus loin et complexifier plus précisément
l'histoire des citoyens du monde, lisez
le très intéressant ouvrage de Michel Auvray,
Histoire des Citoyens du Monde. Un idéal
en action de 1945 à nos jours, Paris,
Éditions Imago, 2020.
Vercors dans ce
mouvement: intérêt, rôle, discours
Vercors,
admirateur de Victor Hugo auteur des États-Unis
d'Europe et du pèlerin de la paix Aristide
Briand, gravita dans nombre d'associations
pour la liberté et pour la paix: le PEN-Club
auquel il adhéra dans l'entre-deux-guerres
sur les conseils de son ami Jules Romains,
les Combattants de la Liberté nés en 1948 (appelés
bientôt Mouvement de la Paix), le Conseil
Mondial de la Paix créé après le Congrès
de Varsovie de 1950. Pour davantage de précisions,
voir mon ouvrage Vercors.
Un parcours intellectuel.
Ce symbole de la Résistance
fut donc légitimement approché par Sarrazac,
l'un des fondateurs du Front humain
dont je parlais plus haut dans cette page.
Vercors resta en contact avec lui. Le 22
octobre 1948 fut créé un Conseil de
sécurité pour aider Garry Davis. Vingt-cinq
personnes y siégèrent, dont Vercors.
Le 19 novembre de la
même année, on prit la décision que Davis
interviendrait à l'ONU par surprise,
alors qu'il n'y était pas convié. Pour mettre
ce stratagème en place, des "conjurés"
entourèrent Davis afin qu'il puisse
avancer dans la salle et discourir. Parmi
ces conjurés: Vercors.
Le 2 décembre, toujours
de la même année, Vercors et des membres
du Conseil de sécurité se tenaient place
de l'Opéra, entourant Davis, avec l'intention
de distribuer des tracts blancs et
jaunes afin d'alerter l'opinion sur l'initiative
des citoyens du monde. Le lendemain, à la
salle Pleyel, un message de soutien de Vercors
fut lu lors de cette réunion des mondialistes.
Le lendemain, la presse ne manqua pas de
brocarder ce meeting. L'Humanité d'obédience
communiste, analysant la démarche de Davis
comme proaméricaine, fustigea le message
de Vercors, quand Le Populaire d'obédience
socialiste, hostile à Davis qu'il considérait
comme un agent de Staline, ironisa en affublant
les participants de noms d'oiseaux. "Vercors-la
cigogne" en prit pour son grade,
au même titre que Camus, Breton et Mounier.
Six jours plus tard,
le 9 décembre, Vercors réitéra son soutien
par un message lu lors de la réunion au
Vélodrome d'Hiver:
"Devant la réponse
de l'ONU, l'acte de simplicité courageuse
de Garry Davis devient non plus seulement
un symbole, mais un exemple. Quand les nations
ne peuvent plus trouver seules la voie de
la raison, c'est à chaque homme et à tous
les hommes de sauver leur propre destin".
Vercors, en tant que
membre du Conseil de sécurité, écrivit également
dans le journal Peuple du Monde. La page
des citoyens du monde dirigé par Sarrazac.
En avril 1949 se tint
le premier Congrès mondial des Partisans
de la Paix. Il y eut d'âpres discussions
en amont entre la ligne dure du PCF et la
ligne favorable à un élargissement des invités
pour savoir si Sarrazac et Davis seraient
conviés à s'exprimer. La ligne dure l'emporta
pour exclure les deux hommes de ce Congrès.
Vercors, quant à lui, compagnon de route
affilié aux Partisans de la Paix, intervint
à ce meeting.
Et justement parce que
compagnon de route, donc plus libre de ses
choix, il continua à soutenir les citoyens
du monde. Lors de l'inauguration de la première
borne de la Route mondiale sans frontière
à laquelle participa André Breton, il envoya
un message qui fut lu pendant cette journée
officielle.
Vercors fut-il prolixe
sur son intérêt pour Garry Davis et le Front
humain, sur son rôle actif, sur ses discours
à ce sujet? Non, encore une fois.
Dans ses mémoires, il
évoque très globalement sa présence dans
les Congrès pour la paix, en particulier
lorsqu'il s'agit des réunions organisées
par le Pen-Club et les Partisans de la Paix.
Dans ses ouvrages qui se présentent comme
des dossiers d'articles publiés de façon
disparate, il ne propose pas de chapeau
explicatif à ses textes. C'est dans Plus
ou moins homme (1950) que nous trouvons
une seule mention de Garry Davis, détachée
de tout contexte. Aux pages 376 à 378, il
publie son article de 1949 "Pas de
malentendu". Il explique que le mot
de pacifisme a désormais une signification
ambiguë, et il rappelle que le pacifisme
"comporte, en effet, un danger
celui de tout accepter plutôt que d'aller
se battre.
[...]
Le pacifisme de Garry
Davis, et le nôtre, consistent en ceci:
nous considérons que si nous sommes, chacun,
citoyen d'une certaine nation nous sommes
aussi, et d'abord, citoyen du monde. Que
tout différend entre une nation et une autre
est querelle de famille, et que de vouloir
le régler par les armes est un crime fratricide.
Mais qu'une de ces nations prétende assujettir
toutes les autres, et tout change: cette
nation-là assume le plus grand crime, celui
de lèse-humanité. Et nous lui ferons la
guerre".
A la parution de "Pas
de malentendu", anarchistes et libertaires,
qui apportaient un soutien déjà très critique
à Garry Davis, furent encore plus hostiles.
Comment comprendre ce texte? Rappelons-nous
que Jean Bruller, la mort dans l'âme, abandonna
son pacifisme en 1938 pour combattre le
nazisme. Cet article de 1949 se situe
dans la droite ligne de ses convictions.
Article mis en ligne le 8 janvier 2024
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