Les premiers dessins de Jean Bruller dans l'Illustré national (1922-1923)
Préambule
Jean Bruller fut publié dans L'Illustré national du 26 mars 1922 au 27 mai 1923.
19 numéros en 1922 et 7 numéros en 1923.
Il signe ses dessins de son premier pseudonyme Joë Mab. Et dès le premier numéro du 26 mars 1922 apparaît pour la première fois dans ce journal, et de manière récurrente, le personnage de Sam. Personnage qui sera récurrent au fil des numéros et qui sera appelé de son nom complet « Sam Howard » dans les numéros du 19 novembre 1922 et du 11 mars 1923. Ce patronyme fut précédé du nom de « Houard » dans le numéro du 24 septembre 1922 avant d'obtenir sa consonnance anglaise.
Or, il faut se souvenir qu'au même moment, à partir du 1er juin 1922, Jean Bruller tint une chronique régulière assortie de dessins de son cru, dans le journal Paris-Flirt, et ce jusqu'au 18 avril 1923. Cette chronique parut sous le titre Les Propos de Sam Howard recueillis par Joë Mab. C'est donc dans ces deux journaux que notre dessinateur élabora progressivement le personnage de Sam Howard, par le texte dans Paris-Flirt et par le dessin dans L'Illustré national. La concordance de la fourchette des dates de publication est parlante.
Rappelons en outre que ce personnage fictif revint dans le journal gai L'Ingénu avec 16 numéros bi-mensuels que Jean Bruller fonda et anima entre le 15 juin 1923 et le 1er février 1924. C'est à partir de ce projet éditorial que Jean Bruller arrêta sa collaboration à Paris-Flirt et à L'Illustré national.
Avant de commenter plus avant sa participation à L'Illustré national, répertorions intégralement les numéros dans lesquels nous trouvons les dessins de Jean Bruller et allons les regarder, puisque mon inventaire propose des liens hypertextes pour consulter les numéros sur Gallica.
Inventaire
Sur Gallica, L'Illustré national n'est pas consultable. Toutefois, comme ce journal était reproduit intégralement par les journaux régionaux dans le numéro du dimanche, nous pouvons consulter les dessins de Jean Bruller dans Le Petit Marseillais illustré. Voici les pages dans lesquelles vous pouvez prendre connaissance de ces premiers dessins de notre dessinateur sous le pseudonyme de Joë Mab.
Année 1922
30 juillet 1922 (page 3 et page 10)
10 décembre 1922 (page 2 et page 9)
Année 1923
25 mars 1923 (page 2 et page 7)
Analyses et explications
Si vous souhaitez connaître l'histoire de L'Illustré national et de ses répliques régionales, allez lire l'interview de Thierry Groensteen à ce lien, et son long article passionnant à cette adresse.
Dès le début de sa carrière, Jean Bruller se spécialisa dans la narration séquentielle, plutôt que dans le dessin unique. Il s'attacha à un héros récurrent. Chaque numéro s'appesantit sur des tranches de vie de Sam, bientôt appelé Howard, dans une série de dessins fonctionnant comme une unité narrative close. Dans le numéro du 25 mars 1923, on trouve même M. Jackson Coops qui gravite au même moment autour de Sam dans Les Propos de Sam Howard. A cette époque, Jean Bruller a 20 ans. Nous assistons donc à la gestation de son projet dessiné et narratif.
De ses dessins dans L'Illustré national et de ses textes dans Les Propos de Sam Howard édités dans Paris-flirt circulent des thèmes récurrents, thèmes classiques du cartoon humoristique.
Plus encore: par deux fois, Jean Bruller reprend une histoire précise pour la mettre en dessin ou en texte d'un journal à l'autre. C'est une pratique régulière chez lui, j'en avais parlé déjà sur ce site:
- le récit du 1er novembre 1922 des Propos de Sam Howard est mis en image dans « Sam fait la charité » du 24 décembre 1922 (page 2).
- le récit du 22 novembre 1922 des Propos de Sam Howard est mis en image dans « Sam Howard en cour d'assises » du 11 mars 1923 (page 3).
Allez revoir ces deux séquences dessinées et comparez avec ces extraits ci-dessous tirés des Propos de Sam Howard:
Récit du 1er novembre 1922 des Propos de Sam Howard: « Un soir d'hiver qu'il allait ainsi sous la neige, bravant le gel et le vent [...], il trouve sur son chemin une manière de pauvre bougre qui tentait comme il pouvait de se garantir du froid en plongeant ses mains dans des poches profondes. Moïse Davidson résolut de venir en aide à cette misère émouvante et chercha dans la poche de sa pelisse un billon qu'il pût donner à ce malheureux grelottant de froid. Il n'en trouva point, et dut retirer l'un après l'autre ses gants, sa pelisse et sa veste pour trouver enfin la pièce de deux sous convoitée dans la poche intérieure de son gilet. C'est ainsi qu'il s'affligea d'une pneumonie qui devait le conduire au tombeau quelques mois plus tard sous la forme d'un autobus maladroit et pesant. Mais il ne songea pas dans ce moment aux conséquences de son imprudence, et s'abandonnant à la joie supérieure et pure de la bienfaisance, il tendit sa pièce de deux sous au pauvre diable qui l'avait regardé faire avec une attention croissante. "Dites donc", s'écria celui-ci lorsqu'il eut observé un moment le résultat des héroïques recherches de Moïse Davidson, "dites donc, est-ce que vous croyez vraiment que je vais retirer les mains de mes poches pour une malheureuse pièce de deux sous? ».
Récit du 22 novembre 1922 des Propos de Sam Howard: « L'honorable sir Arthur Padwel, que vous voyez aujourd'hui assis désespéré au banc d'infamie, s'était attablé le soir du crime devant un potage qui répandait une bonne odeur de cuisine bourgeoise. Or, sur le moment de se servir, sir Arthur découvrit que nageait sur le bouillon fumant une mèche de cheveux inopportune. Qui de vous, messieurs, n'eût point éprouvé un sentiment de dégoût, bien naturel à cette vue, et ne se fût bien débarrassé sur-le-champ de cet objet déplaisant? Notre client agit comme l'eût fait n'importe qui à sa place: il saisit les cheveux coupables d'un doigt dégoûté, et les jeta par la fenêtre. Ce fut son seul crime. Car vous avouerez, messieurs, qu'il n'y avait réellement point de sa faute si au bout de cette mèche immodeste se trouvait sa malheureuse femme! ».
Autre point à noter: nous trouvons dans le numéro du 10 décembre 1922 (page 9) la séquence de dessins intitulée « Sam se suicide ». Le vieux héros de 83 ans décide d'en finir avec l'existence. Il met toutefois 5 années sans trouver d'appartement situé à l'étage afin de se jeter dans le vide. Il tente plusieurs fois: arme à feu, gaz. Puis il reprend goût à la vie et meurt à ce moment-là. Or, n'est-ce pas la trame de son premier album publié 21 Recettes de mort violente?
Article mis en ligne le 1er septembre et le 15 octobre 2022