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ROMANS

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L'Impuissance 

Renaud Houlade ou le pessimisme: comment ce candide  fit un bel autodafé pour empêcher que l'art ne soit un alibi, et comment il se fessa lui-même...

LE PORTRAIT DE RENAUD HOULADE

LA FONCTION DE L’ART

           L’Art selon Renaud Houlade

           L’Art selon Jean Bruller- Vercors

 

 

 

 

 

I   LE PORTRAIT DE RENAUD HOULADE

Le narrateur met en scène le personnage de Renaud Houlade devenu, dès le premier jour d’école, un ami. En effet, le jour de son arrivée, ce personnage insolite se montre solidaire du narrateur mis à la porte par la plus grande des injustices et se « fait fiche à la porte » à son tour.

Cette attitude initiale demeurera immuable tout au long de sa vie. Cet être pur, souffrant de l’attitude injuste de certains humains, agit alors en toute intransigeance, sans penser aux conséquences néfastes qui pourraient le pénaliser. Son abnégation le conduit, tel un nouveau Christ, à  se vouloir  « prêt à charger sur ses propres épaules le poids de n’importe quelle injustice- toujours prêt à payer lui-même les péchés du monde ».

Sa haine viscérale de l’injustice l’incite à chaque fois à commettre des actes aux conséquences fâcheuses pour lui. Ainsi, si son premier acte rétrospectivement bénin risque tout au plus de le faire passer pour « une mauvaise tête », plus tard son absence à l’oral du bac « parce qu’on avait collé Mouriez » entrave plus gravement son avenir scolaire et professionnel. En temps normal, sa honte face au comportement injuste des hommes envers certains de leurs semblables le pousse à des actes extrêmes qui le punissent sans rien résoudre. Mais cette sorte de rachat dérisoire de la vision de l’homme devient bien plus dangereuse dans les temps troubles de l’Histoire. Sous l’Occupation, Renaud commet ainsi des actes, autant courageux que suicidaires, dictés par ses idéaux : du port de l’étoile jaune par solidarité avec les Juifs à son activité clandestine au sein de la Résistance, il souffre dans sa chair et dans son âme et se « consum[e] de rage rentrée ». Ses actes sont désespérés et ont souvent pour unique résultat de se châtier lui-même.

Sa douleur morale s’exacerbe quand le narrateur lui apprend la mort dans les camps de la mort de Bernard Meyer au « long visage blanc », aux « yeux tout ensemble vifs et rêveurs » et à l’accent « plein de soleil » au moment même où il est informé de la tragédie d’Oradour sur Glane, village du Limousin dont les habitants ont été enfermés, puis brûlés vifs par une division allemande en 1944 (pour en savoir plus, allez à la page consacrée au récit Les Mots). Cela l’engage alors dans un acte désespéré tout aussi vain que les précédents : l’holocauste de ses livres, de ses tableaux, de ses statues et autres objets d’art.

 

II  LA FONCTION DE L’ART

Dans cette nouvelle, Vercors pose notamment un problème : la relation entre l’activité artistique et la révolte face aux monstruosités de l’époque. Que pèsent l’art , ses pompes et ses œuvres dans un siècle de guerres et de massacres ?

1)      L’Art selon Renaud Houlade

Profondément désespéré, Renaud entasse pêle-mêle et sans distinction tous ses trésors artistiques dans le jardin en un immense bûcher expiatoire. En une longue description, le lecteur peut noter leur inestimable valeur à la fois  matérielle, économique et spirituelle.

En une diatribe violente, le personnage vilipende l’art et le mensonge qu’il véhicule. Selon lui, l’Art est un prétexte pour donner bonne conscience à ceux qui  créent comme à ceux qui contemplent la création. Il donne l’impression d’élever l’homme spirituellement au-dessus des autres créatures, lui conférant de ce fait une supériorité.

Pourtant, cet art, qui devrait rendre l’homme meilleur que les autres animaux, le hisse-t-il au sommet de la hiérarchie des êtres vivants ; en un mot, humanise-t-il l’homme ?

La haute culture allemande où brillent Goethe et Beethoven, sous l’égide de laquelle se placent un Ernst Jünger ou son double littéraire, Von Ebrennac si imprégné de Bach, a-t-elle empêché l’éclosion du Reich hitlérien ? Les nazis ne l’ont-ils pas retournée à leur profit, et même dans des circonstances horribles : Mozart accompagnant l’agonie des déportés d’Auschwitz  ou les pendaisons de Tulle ( « Pendant qu’un peu partout des pendus se balancent aux arbres, aux sons de la radio qui donne peut-être bien du Mozart ? ») !

L’art n’est-il qu’un masque qui camoufle l’ horreur, comme l’officier allemand de la nouvelle Les Mots qui ordonne l’holocauste d’un autre Oradour, mais lui tourne le dos pour peindre avec émotion et sensibilité « la nature [et] sa magnificence »?

Se réfugier dans l’art pour l’art, dans une utopique tour d’ivoire remplie de chefs-d’œuvre, n’est-ce pas vouloir oublier la barbarie, refuser de la combattre, l’accepter ?

Cette critique n’est pas si éloignée, d’une certaine façon, de la dénonciation récurrente de l’art, de la littérature au XXème siècle et en particulier des dadaïstes et des surréalistes comme Marcel Duchamp et cela justement dans les années qui suivirent la grande boucherie de 14-18. Et il n’est pas jusqu’à l’exemple de Rimbaud, dont une édition originale rejoint tant d’œuvres d’art sur le bûcher de Renaud, qui ne montre le dédain pour une « carrière » poétique abandonnée au profit d’une « vraie vie » plus ou moins aventureuse.

L’Art serait une « tartuferie », un mensonge qui fait de l’homme la plus méprisable et la plus vile des créatures terrestres :

« Le tigre, le crocodile ? Mais ce sont des anges à côté de nous ! Et ils ne jouent pas de plus au petit saint, au grave penseur, au philosophe, au poète ! »

L’animal paraît ce qu’il est ; l’homme veut paraître ce qu’il n’est pas par le biais de l’Art.

A la révolte destructrice de Renaud succède, à la fin de cette diatribe véhémente, un désespoir profond laissant le personnage anéanti et léthargique.

 

2)      L’Art selon Jean Bruller- Vercors

Renaud n’est pas le double de l’artiste Jean Bruller-Vercors :

«  Pensé-je comme Renaud ? » s’interroge le narrateur. « Non pas, tout au contraire ! L’art seul m’empêche de désespérer. L’art seul donne tort à Renaud (…) Heureusement l’art, la pensée désintéressée le rachètent ».

Dans un petit livre consacré au peintre Goetz, Vercors précise sa conception de l’art :             

 « l’apparition de ce que nous appelons l’homme - homo sapiens- s’accompagne immédiatement de l’apparition de l’art …face à la nature indifférente, sinon hostile, étrangère à cette harmonie, une volonté d’affirmation… une déclaration d’indépendance, … la première charte du fait humain, et le tout premier fondement du fait artistique ». Et il revient sur une thématique centrale pour lui : la rébellion, qui est le propre de l’homme, se manifeste dans « deux grandes orientations…le refus d’accepter l’ignorance…[et]  la volonté créatrice … ».

Commentant Quatre-vingt treize de Hugo dans Des pas dans le sable, il écrit « L’art m’ennuie…s’il n’est pas une recherche passionnée de la justice… de la justice pour l’Homme contre la condition humaine, cette recherche dramatique qui est celle d’un Van Gogh, d’un Bosch, d’un Michel-Ange, d’un Goya, d’un Picasso  ».

Vercors, l’ancien compagnon de route du PCF, ne rejoint-il pas (sans doute inconsciemment) Trotsky et Breton dans un texte célèbre écrit en 1938 Pour un art révolutionnaire indépendant ?

 « L’art véritable…ne peut pas ne pas être révolutionnaire, c’est –à-dire ne pas aspirer à une reconstruction complète et radicale de la société, ne serait-ce que pour affranchir la création intellectuelle des chaînes qui l’entravent… ».

Ainsi, l’autoflagellation de Renaud Houlade apparaît-elle purement négative et sa démarche « christique » et masochiste n’attaque que lui-même et paradoxalement, son geste semble un écho des grands autodafés des nazis et de Goebbels, dont on connaît la phrase à propos de la culture.

L’Art est une spécificité humaine et il est, comme il le répète dans son essai Plus ou moins homme, « la forme suprême  de notre indépendance proclamée à la face de la Nature » et elle entérine notre qualité d’homme ( pour en savoir plus sur la qualité d’homme, allez la page consacrée à Sylva).          

 L’Art est le moyen  de pousser à la limite la plus extrême la révolte de l’homme rebelle contre la Nature. Il  est une arme efficace dans la lutte contre une Nature qui use de tactiques perverses pour diviser ces animaux dénaturés en dissidence et les acculer à la défaite. Sa tactique la plus habile est de rendre l’homme solitaire. Son ultime choix – et le seul- est alors de se comporter plus ou moins comme un homme, c’est-à-dire d’être volontairement solidaire de ses semblables ou de décider de ne pas l’être. L’homme est donc libre d’adopter l’attitude de Renaud, du narrateur ou, à l’extrême, du nazi. Contrairement au narrateur, Renaud oublie que tous les hommes n’ont pas la même attitude : certains sont solidaires. Il n’a pas conscience que la Nature divise pour mieux régner. Il appartient donc à chacun d’agir avec discernement.

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