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L'Étincelle (1986)

Résumé d'une nouvelle préhistorique

« L'Étincelle » est un court récit de 5 pages publié dans la revue Corps écrit de 1986. Ce numéro 18 est entièrement consacré à l'allégorie. Le thème proposé fut l'occasion pour Vercors d'inventer une fable anthropologique centrée sur sa problématique favorite : qu'est-ce que l'homme ? Comment notre ancêtre préhistorique devint-il homme au point de se séparer des animaux et de la nature ?

J’avais déjà évoqué cette nouvelle dans mon article sur la Préhistoire et son imaginaire. Je complète donc mon propos.

La nouvelle commence par planter le décor : une nature hostile avec un grouillement d'animaux constamment en lutte les uns contre les autres, tous dominés par le mythique et « redoutable tigre-dent-de-sabre ».

Au sein de cette « ère immémoriale » évolue l'un de nos ancêtres, un mâle à la recherche de nourriture. Après quelques heures à pister sa proie, il la tue, mais sent aussitôt dans son dos un animal gigantesque – probablement ce fameux tigre – lui labourer le dos.

Le soir, le mâle s'éveille avec les membres douloureux. Gît à côté de lui sa proie à moitié dévorée. À demi conscient, il rampe avec difficulté vers celle-ci pour en savourer un morceau avant de replonger dans une torpeur inconsciente. À son second réveil alors qu'il fait quasiment nuit, il aperçoit le « mâle dominant de sa harde » davantage prêt à s'emparer de son butin qu'à le sauver. Ce dernier n'en a pas le temps, brisé par les coups d'un redoutable adversaire que nous ne verrons pas. Le personnage principal sent alors en lui un phénomène nouveau, quoique furtif : une révolte face à ce qu'il vient de voir.

À son troisième et dernier réveil, à l'aube, il voit son congénère mort et la proie disparue. Monte alors en lui une révolte plus sourde encore, captant dans un brouillard mental les lois implacables de la nature, sa solitude, et sentant confusément son imminente mort. L'étincelle cérébrale a lieu en lieu, malgré lui, encore éphémère dans son cas. Mais nous saisissons que d'autres hommes préhistoriques connaîtront cette étincelle nouvelle, distincte de tous les autres animaux, qui les conduira à se distinguer des autres par leur spécificité humaine.

Imaginaire collectif et enjeux

J'avais déjà évoqué dans mon article sur la préhistoire et son imaginaire la symbolique de la représentation de nos ancêtres plongés dans les affres de la Préhistoire, en m'aidant des travaux de Pascal Semonsut.

 Je reprends ici son article « Quand la violence est messianique. La représentation de la violence préhistorique dans l’enseignement et la fiction du second XXe siècle français » que vous pouvez lire en ligne. Le récit de Vercors répond à tous les critères de cet article.

Faune, flore et êtres sont hostiles à l'homme préhistorique. Ils lui font la guerre dans la fiction. Le monde est dangereux pour nos ancêtres. Ceux-ci sont vulnérables et craignent les autres animaux bien plus puissants qu'eux. La preuve : le personnage principal et le dominant sont des proies faciles qui vont mourir. Pourtant leurs congénères et leurs descendants triompheront sur les autres, notre présence est là pour le prouver. Et c’est, selon Vercors, grâce à l'étincelle mentale qui va les hisser progressivement au-dessus de tout le vivant. L’Homo sapiens sera le vainqueur et se hissera en haut de la hiérarchie des espèces, il dominera la nature, non par la force physique, mais par la force de son intelligence qui lui permettra d’inventer les techniques pour l’emporter sur les autres.

Sans la colère du « redoutable tigre-dent-de-sabre », nos ancêtres « seraient restés de simples Cro-Magnon, des anonymes préhistoriques. Sans l’errance liée à ces emportements, il n’est point de héros. La représentation de la Préhistoire a une morale, et c’est le volcan qui nous la dicte, tout au long de la seconde moitié du XXe siècle : seule l’adversité forge les meilleurs », pour citer l'article de Pascal Semonsut.

Vercors ne déroge pas à l’imaginaire collectif qui est de démontrer que l’Homme a réussi à dominer le monde dans toutes ses composantes, alors qu’au départ il n’était rien face à celui-ci.

Pascal Semonsut poursuit :

la science ne protège guère des préjugés et il lui arrive, parfois, de les nourrir. Si tous, des scientifiques aux romanciers et cinéastes, enseignent ou mettent en scène notre peur de l’animal, notre vulnérabilité devant lui, c’est pour une raison bien précise, déjà évoquée. Notre espèce part perdante, elle n’a rien pour survivre, encore moins pour gagner. Alors que le monde animal tout entier est ligué contre elle, alors qu’elle subit sa violence carnassière, elle finit pourtant par s’imposer et prendre le dessus. Est-il meilleure preuve de sa supériorité intrinsèque et, par conséquent, de sa juste prétention à dominer ?

La vision pessimiste de la Préhistoire que véhicule sa représentation serait la justification paradoxale de l’optimisme qu’elle porte sur le destin de l’humanité. 

Vercors a cette même vision dans sa nouvelle de 1986 comme dans son essai Sens et non sens de l'Histoire. Et, sorti des dangers multiples grâce à son étincelle mentale, il doit désormais lutter contre lui-même, toujours selon Vercors, pour se réformer par le triomphe de la Raison sur les Passions comme je l'analyse notamment dans mon article sur l'anthropologie vercorienne.

Article mis en ligne le 1er juillet 2025