O Claude
OUDEVILLE
![Oudeville](../images/Oudeville.jpg)
source
Claude Oudeville participe à
l’aventure des Editions de Minuit par
l’intermédiaire d’Ernest Aulard
que Jean Bruller
connaissait et avait contacté pour mettre en place ce projet clandestin.
L’ « oiseau
rare » tient une « toute petite boutique , la porte ouverte
à tous vents », boulevard de l’Hôpital.
Cet homme, qui « travaille
seul, n’imprime que des faire-part » et « ne possède pour
toute machine qu’une petite minerve », paraît devant Jean Bruller
comme « un petit homme d’âge mûr, râclé, la tête carrée trop grosse
pour la taille. Il a le cheveu rare, grisonnant sur un front très bombé, plus
bosselé à droite, les yeux glauques et inégaux, dont l’un tend à
s’exorbiter ».
Avant de collaborer avec lui,
Jean Bruller l’informe des diverses méthodes de tortures imaginées par l’ennemi
dont « les projecteurs braqués jour et nuit devant les yeux du
prisonnier » :
« [Oudeville]
se retourne. Je le trouve un peu pâle. On le serait à moins. L’œil gauche
parait encore un peu plus exorbité. Il dit :
« Nuit et jour ?
-
Oui.
Plusieurs nuits. Plusieurs jours.
-
Ce doit
être épouvantable quand on est sujet aux conjonctivites ? »
Je ne peux
m’empêcher de sourire. Ainsi ce que n’ont pu les os brisés, les ongles
arrachés, les brodequins, les mâchoires fracassées, une simple lumière y
réussit parce que cette douleur-là il la connaît, il peut l’imaginer (…)
-
Oh !
dit-il, je me doutais bien de tout ça. Sauf pour le projecteur : la
lumière me fait mal et en été je porte des lunettes noires. Ca ne fait
rien ». (La Bataille du Silence).
Le réel est
source d’inspiration pour Vercors et il se souviendra de cette anecdote quand
il écrira en 1945 L’Imprimerie de Verdun en hommage aux imprimeurs fusillés.
Oudeville ne
peut imprimer sur sa presse que huit pages à la fois, « Ensuite il lui
faudra décomposer, redistribuer les caractères, composer les huit pages
suivantes et ainsi de suite ».
Le premier
volume des Editions de Minuit, Le
Silence de la Mer, ne sera
fabriqué qu’en douze semaines « entre deux faire-part » juste
en face de la « Pitié devenu hôpital militaire allemand » !
L’occupant ne soupçonnera pas Oudeville car, comme dans La Lettre volée d’Edgar Poe, « qui supposerait qu’on soit assez insensé pour
imprimer sous les yeux de l’ennemi des écrits subversifs ? ».
A l’automne
1942, Oudeville fait intervenir Maurice Roulois, un artisan linotypiste qui
compose les 96 pages des ouvrages des Editions de Minuit en une seule fois, « ce
qui allait nous faire gagner un temps considérable » ; grâce à
lui encore, les paquets des Editons de Minuit seront déposés boulevard de la
Gare au Café La Halle aux taxis tenu par Bachelet, un de ses amis.
Ayant lu Le Silence de la Mer, il s’interroge sur le sens du titre :
« Moi je dirais plutôt le silence de la nièce ». Cette
question fait réfléchir Vercors et, à la réédition de son œuvre culte, il
ajoute « dans les dernières pages, les trois lignes où [il] évoque la
mêlée silencieuse des bêtes dans la mer ».
Au printemps
1943, Oudeville se fait remplacer par Aulard :
« Outre
un lien dangereux entre Roulois et lui, les délais restaient trop
importants ».
A la Libération, quand Les Editions de Minuit deviennent une entreprise
légale, Claude Oudeville détient des actions de cette « société anonyme
au capital de 500 000 francs divisé en 500 actions de 1000 francs
chacune » (Anne Simonin). |