...Où il est question de deux histoires
parallèles par leur composition, mais ô combien antithétiques puisque l’une met
en scène un cheval et l’autre Hitler…
Pour
une explication sommaire de la nouvelle…
LA TECHNIQUE NARRATIVE UNE
NOUVELLE ENIGMATIQUE
Deux
histoires vraies Un
apologue ?
La
rigueur de la construction Du
burlesque au tragique
I LA TECHNIQUE NARRATIVE
1)
Deux histoires vraies
Vercors reprend un procédé bien
connu de la nouvelle : lors d’une soirée ou d’une réunion entre amis, le
narrateur assiste aux récits vécus par les autres personnages. Vercors renforce
cet effet de réel souhaité, puisque le héros passe d’une écoute relative des
fictions anodines racontées par chacun à une attention soutenue quand vient le
tour de Jean-Marc et de son hôte. D’histoires « stupides », on
passe en effet à deux histoires « vraies ». Si le premier
n’insiste pas sur la véracité de ses dires, en revanche le second se
justifie : l’évocation est véridique, « [c]ar elle ne finit pas.
Quand une histoire est imaginaire, on lui trouve une fin ».
Contrairement à Jean-Marc, l’hôte
part de la réalité historique, puisqu’il évoque la personne même de Hitler qui
se promène d’emblée en maître dans Paris. Insidieux, il se faufile dans la
ville « à cinq heures du matin » pendant que tout Paris dort.
Il contemple cette ville politiquement et territorialement soumise aux nazis
depuis l’armistice avant de se rendre à « l’Opéra » pour
s’asseoir dans « la loge du Président de la République ». Ce
geste paraît hautement symbolique de son envie irrépressible de puissance et de
domination. Néanmoins, cette visite surprise est jugée « pathétique »
et dérisoire, Hitler ne pouvant prendre possession de cette ville que très tôt
le matin quand elle est assoupie. La victoire est-elle celle que l’on
pense ? En apparence oui, mais le Führer n’a pas pu s’emparer de
l’essentiel : l’esprit ( « Geist ») de Paris…cet esprit que le
naïf Werner von Ebrennac admire et respecte ; cet esprit qu’il veut unir à
son pays jusqu’à ce qu’il comprenne que les nazis ont le projet de détruire la
France et son âme (pour en savoir plus, allez à la page consacrée au Silence de la Mer). Hitler doit avancer dans
l’ombre : la Belle refuse de se soumettre à cette Bête.
La venue du Führer dans la
capitale peut être aisément vérifiée par la « photo atroce (..) où il
est sur la terrasse du palais de Chaillot ». Cette preuve fait ainsi
graviter l’anecdote de cette gardienne qui se retrouve nez à nez avec Hitler
dans la sphère du réel et ce d’autant plus que l’on cache l’identité de ce
mystérieux monsieur « Z… » en guise de précaution…topos bien
connu de la technique narrative de la nouvelle.
Toutes ces précautions oratoires
avant le récit proprement dit font dresser l’oreille au héros et amènent les
deux anecdotes.
2)
La rigueur de la construction
Les deux histoires sont racontées en un parallèle parfait
et semblent établir un lien entre elles par leur composition similaire :
Jean-Marc et l’hôte donnent d’abord les circonstances, puis ils relatent
l’anecdote proprement dite pour enfin en fournir un bref commentaire.
Mais ce tableau en diptyque rend
en fait sensible l’antinomie totale entre ces deux histoires. La première est
une facétie d’étudiants avinés : mettre un « bon gros
cheval » à « l’air idiot et un peu embêté » au milieu
du hall d’un immeuble bourgeois et hennir le mot « chevaâal »
sans attendre de voir la réaction du locataire est sans conséquence aucune. Par
contre, qu’une vieille gardienne ouvre à Hitler en personne dès potron-minet
parce que ce dernier a décidé de voir l’ancienne habitation de son « Michel-Ange »
Breker relève du pire cauchemar.
Leur degré de gravité est sans
égal. Et pourtant…la blague estudiantine a
lieu dans « une rue de pipelets », « la rue la plus
sinistre de Paris », « grise, guindée, vaniteuse, toujours
déserte » alors que la visite du Führer se situe à Montparnasse, le
quartier des artistes. Une rue sordide pour un cheval sympathique et débonnaire
contre une rue dédiée à l’Art pour un personnage qui n’inspire que terreur et
répulsion.
Le titre de la nouvelle invite à
lier ces deux récits, mais la nomination des deux personnages de ces anecdotes
est révélateur de cette antinomie dans la gravité : si le premier est bien
nommé par sa caractéristique animale, le second est nommé allégoriquement, ce
qui semble hisser la nouvelle au niveau de la fable.
1) Un
apologue ?
La première histoire est racontée
au premier degré et prise par les auditeurs comme telle. La seconde qui met en
scène Hitler offre un commentaire allégorique :
« Autant dire qu’elle
vit le Diable (…). Nous voyons bien que ce qu’elle a trouvé derrière la porte
était aussi terrifiant, aussi horrifique et redoutable que si c’eût été la
Mort, la Mort avec sa faux et son linceul, et ce sourire sinistre dans les
mâchoires sans lèvres ».
König
Tod zu Pferde de Dürer
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La Mort arrivant sur son cheval…ainsi le titre a-t-il une
fonction symbolique et la première anecdote n’est-elle finalement qu’un alibi
avant le récit fondamental qui préoccupe Vercors en ces temps d’Occupation.
Cet apologue a-t-il une
morale ? S’il démontre toute l’horreur de cette « incroyable
vision », il ne semble pas conclure de manière claire. L’histoire est
inachevée et la morale est très ambiguë. Tout comme l’hôte, Vercors laisse à
son lecteur « le même effort d’imagination » pour interpréter
cette nouvelle énigmatique.
Ne pourrait-on pas penser que ce
type d’écriture relève d’une technique propre à ce Jean Bruller dessinateur
qu’il était encore il y a peu ?
Bien souvent, cet artiste a livré à son public un dessin brut en ouvrant
un vaste champ d’interprétation. De
l’artiste à l’écrivain, il n’y a parfois qu’un pas à franchir…
2) Du
burlesque au tragique
Le lecteur a peut-être du mal à
savoir où Vercors veut en venir, mais il saisit du moins le passage du
burlesque au tragique entre la première et la deuxième anecdote. Il est risible
d’imaginer la tête du locataire qui « dans son demi-sommeil se demande
si maintenant les chevaux rentrent chez eux vraiment en disant leur nom ».
Et il est effrayant de se peindre celle de la vieille gardienne qui éprouve une
forte émotion physique à la vue de Hitler avant de concevoir mentalement cette
hallucination diabolique :
« il est superflu de
raconter le cri terrorisé que la vieille jeta et comment elle repoussa
précipitamment la porte ».
Cette apparition est telle qu’elle est en droit de se demander si ce
spectre est bien un songe ou la réalité. La gradation d’un registre à l’autre
est d’ailleurs bien illustrée par la fonction symbolique du titre de la nouvelle :
Le cheval et la Mort.
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