Divagations d'un Français en Chine (1956)
Sommaire
Le récit de voyage comme genre politico-littéraire
Avant d'étudier les voyages professionnels de Vercors en URSS, en Chine et à Cuba, rappelons quelques principes du récit de voyage.
Le récit de voyage engendre une réflexion littéraire. C'est en effet un récit fortement codé, par un agencement similaire avec une combinaison de permanence et de changement. Les écrivains-voyageurs passent par des lieux communs dans leur prose :
- le départ
- le périple
- le voyage de retour
1) Le récit du départ est généralement introduite par une déclaration d'intention, une profession de foi liminaire sur le mode intimiste de la confession. Cela motive les raisons du voyage au nom d'un mystère à élucider. Le voyageur-écrivain se donne une fonction dans ce jeu de la vérité et du mensonge. Au début de l'ère chrétienne, une suspicion planait sur ces récits : « Tout homme qui raconte son voyage est un fanfaron » (Strabbon).
Le voyageur souhaite donc apporter des preuves de sa bonne foi et fait un constant travail d'authentification. Il se présente comme un paladin de la vérité, quand il voyage pour son compte personnel ou, encore plus, quand il est un officiel du voyage qui accrédite et légitimise son statut. C'est une narratio authentica (= « fonction testimoniale » en terme de narratologie selon Gérard Genette).
Nous nous demanderons donc si Vercors souscrit à cet exorde dans ses récits de voyage dans les 3 pays cités ci-dessus.
2) Le périple proprement dit relève d'une poétique du voyage : aventure et étrangeté, exotisme et altérité sont de la partie généralement. Il y a un jeu sur l'imaginaire et le rêve. L'écrivain se perçoit dans une démarche analogue à celle des grands découvreurs de terres inconnues pour combler l'horizon d'attente du lecteur-voyageur que nous sommes.
Lors de son voyage, l'écrivain doit avoir des qualités d'observateur hors pair et promener sur cette terra incognita qu'il parcourt un regard vierge, innocent et objectif tel le Huron de Voltaire. Il se fait enquêteur, reporter avec pour méthodologie la collecte directe par la vue et l'oreille. Il se refuse de juger et rejette tout regard normatif. Il tente d'avoir un regard « vrai » sur le pays visité et ses habitants. La trilogie « voir-savoir-comprendre » forme son discours de la méthode. Il doit ainsi avoir une compétence acquise : un « savoir-voir ». En filigrane il se compare au savant enfermé dans sa bibliothèque. Il valorise la primauté de l'expérience par rapport au savant : « Experientia est rerum magistra » (Aristote).
Le temps du voyage peut utiliser les ressorts narratifs et persuasifs du carnet de route, du journal de bord pour faire vrai et gommer la recomposition rétrospective.
3) A son retour de voyage, nous percevons trois grandes postures pour signifier les intentionnalités du récit, pour motiver les raisons de l'écriture du voyage :
- Ethos de l'aventurier pour divertir. Nombre de récits commencent par « les tribulations... » pour donner une dimension picaresque et pittoresque. C'est le cas du récit de voyage en Chine de Vercors.
- Ethos de l'humble médiateur pour témoigner dans un but édifiant et humaniste.
- Ethos du voyageur philosophe pour instruire. Voyager est une expérience philosophique. Le voyageur a une mission, celle de communiquer son expérience, d'être utile à ses concitoyens, d'où la nécessité de l'écriture.
Le voyageur prend soin de se distinguer de son double le touriste. Il se situe dans le lignage prestigieux des explorateurs, archétypes valorisés par toute une mythologie du voyage. Le touriste est son double monstrueux et dénaturé, uune figure à exécrer, à stigmatiser dans cet imaginaire vagabond. Le voyageur, lui, est indépendant et autonome. Il ne se contente pas du « simple voir » superficiel du touriste qui n'a ni acuité ni connaissance face à ce qu'il voit.
Analysons désormais les récits de Vercors pour voir dans quelle mesure ce dernier s'insère dans ce dispositif d'un genre politico-littéraire lorsqu'il s'agit de rendre compte des sociétés communistes.
Les Croisières rouges de Vercors
Ecoutez la conférence de Vercors de 1979.
Voyage en URSS
A venir
Voyage à Cuba
A venir
Voyage en Chine
L'ouvrage Les Divagations d’un Français en Chine (1956) se présente comme le récit de voyage de Vercors en Chine, accompagné de dessins de Jean Bruller.
C'est le décalage entre le voyage effectué entre septembre et novembre 1953 et la date de publication du compte-rendu qu'il convient de soulever. Trois ans ont passé depuis son émerveillement qui le mènera à nouveau dans ce pays en 1978. Pourquoi cette édition si tardive?
Disons que, dès son retour, Vercors publia de nombreux compte-rendus dans des journaux divers et fut sollicité pour évoquer ce pays dans des préfaces, mais il hésita à apporter un témoignage si subjectif sur un pays pour lequel il fondait ses espoirs. Pourtant il changea d'avis et écrivit son récit de voyage par plaisir, dit-il en préambule, mais aussi à notre avis car l'année 1956 fut pourvoyeuse en déceptions en regardant vers Moscou. Au contraire, la Chine réactivait ses espoirs politiques. Comme pour beaucoup d'intellectuels, tourner ses regards vers la Chine et bientôt Cuba rappela à Vercors la préface de L'Heure du Choix (1947), à savoir que l'URSS était un exemple, non un modèle.
A suivre...
Article mis en ligne le 1er mai 2023