Allez lire mes articles en ligne qui complètent
cette page en éclairant le roman Comme un frère
sous d'autres angles:
Sociologie
de la grande bourgeoisie ou la littérature d'un écrivain
de gauche comme révélateur du fonctionnement d'une classe
sociale et Vercors
dans les années 60-70: un libéral de gauche? Un anticapitaliste?
Un conservateur bourgeois?
[Cet
article appartient au cycle d'étude "quel
(degré d') essentialisme chez
Jean Bruller-Vercors?". Pour prendre connaissance de tous les articles
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Résumé du
roman pour comprendre
Quel degré
d'essentialisme à la fin de sa carrière et de son existence?
Résumé du roman
pour comprendre
Voici ce que dit Vercors de ce récit, plus réaliste:
"Dans Comme un frère, on voit se dédoubler par prodige un jeune
homme dont un double s'engage dans une rue, le second dans une autre. De ce
seul fait ses deux moi vont connaître, au gré des rencontres et des
circonstances, deux destins différents; qui conduiront l'un à être "plus" et
l'autre à être "moins" homme, jusqu'à ce qu'un ultime avatar les rassemble
dans un moi unique qui sacrifie sa vie à sa conscience" (A
Dire vrai). Pour
comprendre ce qui suit, il convient de faire
un résumé du roman de 1973, Comme
un frère:
à un carrefour, le jeune héros Roger-Louis
Touhoine, issu de la petite bourgeoisie
provinciale, se scinde en deux. Ce
prodige, propre à la fiction, permet à Vercors
de faire diverger l'avenir de cet homme
double en fonction des hasards des rencontres.
Celles-ci décident de leurs trajectoires
de vie et les amènent à être deux individus
différents, bientôt opposés.
Par
amour pour Elisabeth (dite Lisbeth), Louis
côtoie le milieu artistique, rencontre des
gens aux convictions de diverses gauches et
accepte de gérer l'administration de la
troupe théâtrale. Rapidement, leur salle
de répétition et de spectacle étant menacé
par la construction d'un ensemble immobilier
de luxe, Louis commence des tractations
avec Magnus, le propriétaire des lieux,
qui lui propose un local provisoire occupé par
des sans-logis. Quelle que soit la décision
de la troupe, ces pauvres gens n'auront
d'autre perspective que d'être délogé, manu
militari si besoin était. Par conviction
morale, Louis refuse la tractation et se
lance, accompagné de Lisbeth, dans l'action
syndicale.
Roger,
quant à lui, est incité à jouer l'intercesseur
entre un petit groupe anonyme (Léon,
Marcelle et Graulme) et l'univers culturel des
musées
pour vendre des copies de peintures des
grands maîtres. Le lecteur aura compris
que Vercors évoque son aventure des callichromies
(dont je parle à la page consacrée à Henri
Goetz et
dans mon article "Jean Bruller-Vercors
et l'imprimerie" dans l'ouvrage collectif
L'Ecrivain et l'imprimeur paru aux
PUR). Sa tentative personnelle infructueuse
le conduit à demander de l'aide à Magnus,
celui-là même avec lequel son double Louis fait
affaire. Non seulement cette stratégie s'avère
bientôt fructueuse, mais Roger devient
aussi
l'époux de la fille de cet homme puissant,
basculant ainsi dans la haute bourgeoisie,
avec une ascension personnelle, professionnelle,
enfin politique, fulgurante. C'est lui-même
qui, par ses jeux politiques retors, déclenche
un coup d'Etat fasciste (en référence avouée
à celui du 6 février 1934), et pousse
le pays au bord de la guerre civile. C'est
également à ce moment précis qu'il s'aperçoit
qu'il fait fausse route: parvenu sur les
lieux de la révolte aux côtés de Louis,
les dédoublés ne font de nouveau plus qu'un,
et Roger meurt en passant dans l'autre camp,
celui qui révèle sa nature profonde, car
tel est le but que Vercors assigne
à son récit: montrer que la spécificité
d'un individu résiste à tous les hasards
de vie quand un événement le conduit à prendre
une lourde décision et à agir.
Quel degré
d'essentialisme à la fin de sa carrière et de son existence?
Ce roman des années 70 entérine ce que j'ai déjà dit dans
les pages consacrées au degré d'essentialsime de Jean Bruller-Vercors.
Notre artiste ne put jamais sortir du cadre de l'essentialisme: il
réduisit le degré
de son essentialisme, mais pas sa nature.
Comme dans la trilogie Sur
ce rivage,
Comme un frère répond en effet à un essentialisme minimaliste.
"L'environnement peut contribuer à “façonner”
les individus, mais considère toujours que ceux-ci acquièrent tôt ou
tard un “fond” immuable". Le résumé
de ce roman écrit ci-dessus le prouve. Avant que le
personnage ne se dédouble, il est décrit méliorativement
comme un jeune homme qui "partageait les idées
de son milieu natal" (page 11), avec des qualités
morales innées dont il n'a pas encore conscience vu
que sa vie a toujours été douce et paisible. C'est "une
cire encore malléable" (page 11), mais bien
parti pour être un "honnête homme".
Aussi, lorsque son personnage
se sépare en deux hommes différents, le lecteur suit
l'évolution de Louis qui suit sa pente naturelle aidée
par son environnement familial et social d'origine,
tandis que Roger se fourvoie dans une existence de plus
en plus immorale. Ce Roger se déconnecte de son véritable
MOI originel. Mais le fond immuable du personnage se
révèle lors d'une crise politique. Ainsi Vercors n'occulte
plus l'environnement
- l'entourage familial, l'entourage au sens
large qui entoure le petit d'homme, la société
et son mode de fonctionnement -, tout en
accordant son importance à l'essence fixe d'un individu.
Très tôt, Roger-Louis s'est fixé en ce qu'il
est fondamentalement; puis il s'est perdu à cause de
l'environnement qu'il a croisé par hasard sur sa route;
enfin il s'est retrouvé grâce à des circonstances exceptionnelles.
C'est la piste réflexive que Vercors nous proposait
antérieurement avec Le Périple, premier tome
de la trilogie Sur
ce rivage. D'un point de
vue de la peinture morale du personnage, il le fait
de manière inversée:
- Le Périple se propose
ainsi d'interroger la variation de la qualité
d'homme "selon les
circonstances". Vercors réfléchit à la spécificité d'une personne en particulier.
Il voulut montrer le résidu
intrinsèque au personnage inquiétant de Le Prêtre. Un homme est, puisque Vercors
croit en la nature humaine, mais il est aussi capable
de devenir. L'essentialisme fort est
donc réduit à un essentialisme minimaliste. Le contexte
peut amener les humains à réfléchir et à évoluer. Ce sont surtout les temps de crise
qui révèlent l'essence exacte de chacun. Et encore...il
convient de franchir une vie complète pour le mesurer.
Vercors donne un exemple précis avec le personnage de
Le Prêtre du Périple: "Si mon héros [...]
était mort dans le camp où les nazis l'avaient déporté,
n'aurait-il pas laissé le souvenir d'un juste"?.
Aussi Vercors propose-t-il à ses lecteurs une vie complète,
avec les plus ou moins grands revirements de ses personnages,
pour mieux cerner la quintessence de ces derniers. Et
c'est par ce récit d'une existence complète que le lecteur
sait que Le Prêtre ne changera jamais en réalité, les
conversions étant rares. Donc les circonstances ont
fait évoluer positivement Le Prêtre, mais seulement
pour un temps, puisqu'une autre crise historique le
révèle à son état antérieur, le véritable.
- Comme un frère propose
le même scénario: Roger, antérieurement ce jeune homme
de bonne famille, change négativement par ses rencontres,
pour au final se révéler à lui-même en temps de crise.
Si crise il n'y avait pas eue, nous ne l'aurions pas
mesuré. Ce roman à thèse sert donc à Vercors de laboratoire
expérimental pour son essentialisme minimaliste. Essentialisme
qui varia en degré, et non en nature, dans toute l'existence
de Jean Bruller-Vercors.
[Cet
article appartient au cycle d'étude "quel
(degré d') essentialisme chez
Jean Bruller-Vercors?". Pour prendre connaissance de tous les articles
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Article mis
en ligne le 5 juin 2022
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